Rien n'allait plus dans la vie d'une certaine styliste. Elle buvait (encore) plus que d'habitude, se disputait avec son meilleur ami – ou plutôt ex-ami, faisait une entorse (mal digérée) à son régime végétarien, perdait le reste de sa dignité en se disputant dans la rue, et enfin, finissait en prison après une bagarre. Et tout ça en l'espace de vingt-quatre heures. Savannah aurait sans doute mérité une médaille pour le record d'une vie semi-détruire en si peu de temps. Tout cela ne semblait être le résultat que d'une simple révélation inappropriée. Elle s'était présentée saoule chez son meilleur ami et avait commencé à lui faire quelques reproches avec la subtilité d'une personne alcoolisée. Les choses s'étaient très vite enchaînées sans qu'elle n'ait le moindre contrôle dessus et Savannah s'était retrouvée à lui avouer ses sentiments pour lui. Comme elle s'y était attendue – saoule ou pas saoule, Adam avait réaffirmé l'existence de leur amitié, et seulement de leur amitié. La jeune femme s'était souvent imaginé la scène, mais la vraie s'était avérée encore plus douloureuse que tout ce qu'elle aurait pu anticiper. C'était comme si on lui avait arraché le cœur, qu'on l'avait piétiné avant de se décider, enfin, à abréger ses souffrances en roulant dessus avec un camion citerne. La métaphore était peut-être un peu exagérée, mais la brunette la trouvait très réaliste, elle. À sa sortie de l'enfer – de la prison en fait, Savannah s'était rendue directement à son appartement sur Manhattan. Cette journée était pourrie sur tous les points, il n'y avait aucune raison de la faire durer davantage. Son plan était simple : elle allait rentrer, prendre une autre douche, s'enfouir sous les draps et attendre que la mort vienne en s'empiffrant de chocolats devant un DVD à l'eau de rose. Oui, ça m'a l'air bien ça... J'aime ce plan ! Elle était prête à tout pour que la peine soit moins vive et que les choses soient plus simples. Et si cela voulait dire « manger et regarder la télévision », qu'ainsi soit-il ! Sa sortie de taule n'avait pas que du bon : elle retrouvait son téléphone portable. Et avec lui, une vie sociale dont elle se serait sûrement passée pour l'instant. Par acquis de conscience – elle avait tout de même laissé la pauvre Hally se débrouiller toute seule au bureau, Savannah vérifia ses messages. Merde... la principale intéressée avait effectivement cherché à la contacter. Pour ne pas risquer de l'inquiéter davantage, la styliste se pressa de lui répondre en prenant bien garde de la décourager dans ses plans. En effet, Hally voulait passer la soirée avec elle à leur appartement. Non, non, non ! Elle adorait Hally, mais elle ne se sentait pas capable de prétendre que tout allait bien. Elle voulait s'enrouler dans une couverture polaire et compter les larmes qui tomberaient une par une dans son mug de chocolat chaud géant. Tout un programme ! Elle prétexta être malade et par conséquent, de mauvaise compagnie. Ce n'était pas un mensonge finalement... Mais la blondinette insista très vite, prétextant qu'elles n'avaient pas passé beaucoup de temps ensemble et qu'elle avait envie de la voir. À court d'arguments, et surtout touchée par l'affection de son amie, Savannah lui souhaita une bonne journée en attendant de se retrouver le soir-même. La dite soirée n'était plus qu'à quelques heures et elle avait encore beaucoup de travail à faire si elle voulait avoir l'air présentable ! Parce que pour l'instant, il fallait bien le dire : elle ne respirait pas la joie.

Savannah s'était hâtée de rentrer à l'appartement et avait directement filé sous la douche. Elle avait prévu de se faire un soin du visage et de refaire son vernis pour camoufler son chagrin. Rien ne dit mieux « j'ai pleuré toute la nuit » que des yeux gonflés et cernés. Mais l'eau était si chaude qu'elle en oublia l'heure. Elle fainéantât dans son bain de vapeur encore quelques minutes avant de se décider à sortir. Merde. Un coup d’œil à son téléphone lui indiqua qu'il était trop tard pour se faire son fameux masque miraculeux. Tant pis ! Elle était censée être restée à l'appartement à cause de son estomac qui faisait des siennes. Une femme malade avait souvent la mine défaite. Pas vrai ? Et même si elle savait que ce ne serait pas très crédible, présentement, ça l'était suffisamment pour elle et elle décida d'abandonner sa mission « relooking-joie-de-vivre express ». S'affalant dans le canapé, elle ne tarda pas à aller se chercher un plaid – elle avait un peu froid. Puis, de retour sur le canapé depuis à peine cinq minutes, elle décida qu'elle avait soif et partit se chercher un chocolat chaud. Avec cette histoire j'ai oublié de faire les courses... Elle n’aurait pas pu prendre de café, même si elle en avait eu envie. La télévision éteinte, Savannah observa la lumière du jour perdre de son intensité par la fenêtre. Une heure plus tard tout au plus, Hally pénétra dans les lieux, découvrant une Savannah au visage défait, enroulée dans son plaid et qui n'avait pas bougé d'un cil depuis plusieurs dizaines de minutes. « Ça va chou ? J'ai préparé... acheté, tout ce qui te faut pour faire mon repas spécial, j'ai nommé : quoi manger quand je vomis ! » Si elle ne s'était pas sentie aussi épuisée, Savannah l'aurait sûrement prise dans ses bras : elle était tellement mignonne ! C'était largement suffisant pour qu'elle culpabilise de ne pas l'être davantage avec elle au quotidien.

Répondit-elle avec un léger sourire aux lèvres. Elle savait que son manque de sincérité devait se lire sur son visage, mais elle mettrait cela sur son mal de ventre – qui avait très clairement disparu ou presque. « J'ai même fait un truc que j'ai pas fait depuis l'adolescence : loué des DVD ! Tu me laisseras une place sous ton plaid pour qu'on soit malade en amoureuse ? » Et le prix de la plus adorable des amies revient à … Roulements de tambours... Mesdames et Messieurs : Hally Johnson ! Pourquoi j'peux pas être aussi mignonne ? C'est naturelle chez elle ! Au lieu de répondre, Savannah sourit – un peu plus sincère – et souleva le plaid pour lui faire signe que la place était toute chaude.

La brunette sourit et se leva pour l'aider à préparer la soupe et son remède contre le vomis.

Elle était prête à tout pour ne pas avoir à aborder le sujet : « mais où est-ce que tu as mangé de la viande ». Si le sujet était lancé, elle n'était pas sûre de pouvoir cacher la vérité à Hally.

La tornade Hally Johnson était belle et bien entrée dans l'appartement. En l'espace de quelques minutes, la brunette avait senti son monde chamboulé. Elle ne savait déjà plus où donner de la tête. Et finalement, ce n'était pas plus mal. En fait, c'était même pour le meilleur. La blondinette était si énergique – une chose qu'elles partageaient plus ou moins quand Savannah était dans son état normal – qu'elle en oubliait son chagrin. Son ventre ne lui tordait pas autant les entrailles que la veille, et elle se sentait déjà beaucoup mieux. Le sourire de sa bonne amie était communicatif. Et pendant quelques secondes, Savannah se dit qu'elle allait enfin pouvoir suivre son plan : elle allait redevenir la jeune, jolie et pétillante Naughty Lewis, qui ne ressentait rien et qui ne faisait que rire et s'amuser avec ses amies. Parce qu'il était bien connu qu'une party girl ne ressentait rien. Un peu de musique dans les oreilles, une robe légère sur le dos et des talons aiguilles aux pieds, voilà ce qui lui manquait pour retrouver du poil de la bête. Bête – Vétérinaire – Adam. Savannah ressentit le besoin urgent de se frapper le front d'une main experte, mais elle n'en fit rien, la présence de son amie gênant son attitude schizophrénique. C'est pas vrai ça ! Ça va être comme ça maintenant ? Elle penserait à Adam dès la moindre allusion faite à quelque chose s'y rapportant ? Ce n'était pas gérable, si tel était le cas ! Elle aurait pourtant dû savoir que la douleur s'estomperait pour un jour ne plus être qu'un vague picotement au cœur. Et finalement, elle oublierait ses sentiments pour Adam. Au fond d'elle, Savannah devait le savoir. Non ? Revenant à la réalité, la jeune femme plissa des yeux pour comprendre de quoi parlait Hally. Ainsi donc, elle leur avait loué des DVDs. Savannah sourit. Elle était décidément une des filles les plus adorables qu'elle ait jamais rencontrées. La blondinette gambada jusqu'à la cuisine et lui interdit de se lever pour lui venir en aide. Plus drôle encore, elle l'aida à s'asseoir et l'enveloppa dans son plaid comme si elle était prête à entrer en maison de retraite. Mme Lambert lui avait-elle mené la vie si durement pour qu'elle se venge de cette façon ? Comme elle l'avait sûrement prévu, Savannah gloussa légèrement en constatant qu'elle était prise au piège dans son cocon. Tu parles d'une chenille prête à se transformer en papillon ! Une grosse larve, ouais! Elle n'avait pas vomi depuis plusieurs heures – là résidait une part de son mensonge – mais elle ne se sentait pas non plus au meilleur de sa forme.

Chérie, t'as l'air malade comme un chien, tu t'attendais à quoi ? Savannah sourit sincèrement. Hally avait un don certain de distraction. L'esprit de la styliste ne faisait presque plus le grand écart entre la réalité et son monde sombre et tordu. Sa stagiaire entama alors un récit lui contant l'histoire d'une pauvre petite secrétaire, plongée dans l'horreur d'une certaine Mme Lambert. Savannah se mordilla la lèvre à plusieurs reprises, se sentant terriblement coupable de l'avoir laissé affronter « Le Dragon ». Une chose était certaine : toutes ses clientes n'étaient pas des princesses. Et lorsqu'elles y ressemblaient, elles n'avaient absolument pas le même caractère que celui d'une de ces cruches à la Disney. « Tu fais chier d'être malade, je t'explique même pas la mine que j'aurais aimé me prendre ce soir ! » La styliste étira un large sourire idiot sur son visage et haussa les épaules, l'air de dire : « oooooops ? ». « Ah! ben non, j'ai promis d'arrêter de boire ! » Savannah extirpa un bras de son cocon en se débattant. Elle fit la moue et, replaçant une mèche rebelle de ses cheveux, interrogea son amie.

Maintenant qu'elle y songeait, cela faisait un petit bout de temps qu'elles n'avaient pas passé une soirée toute entière ensemble. Que ce soit à l'appartement ou en soirée. À chaque fois, Savannah s'était échappée pour rejoindre Blake, profitant du départ d'Hally chez son petit-ami. En l'absence de la jolie blondinette, elle s'était trouvé un ami de boisson avec qui elle ne risquait pas de s'épancher : les règles étaient claires, lorsqu'ils étaient ensemble, il n'y avait aucune place pour la vraie vie. Ils ne faisaient que boire, se donner des défis stupides et faire des choses frôlant la dangerosité certaine. En somme, un genre d'anti-dépresseur, en un peu plus mauvais pour la santé et à pratiquer à plusieurs. C'est alors que la jeune fille lui présenta les DVDs sur ses jambes, comme sur un beau présentoir dans un musée d'art contemporain. PS: I Love You – Gerry « woah Mmmm » ; Valentine's Day - « Bradley Cooper » « Eric Dane » ; 500 jours ensemble ; La Reine Des Neiges - « je fais une merveilleuse Elsa » résuma-t-elle dans sa tête. Bon, le choix n'était pas très difficile, puisqu'elle ne les avait pas tous vus. De toute façon, la nuit était encore jeune et Savannah n'avait pas vraiment sommeil. Elle sortit de sa réflexion quand elle entendit Hally chanter à tue-tête la chanson phare du long-métrage Disney. Elle éclata de rire et sortit sa deuxième main pour pouvoir l'applaudir.

Se moqua-t-elle en imitant une foule en délire. Hally continua de fouiller son sac-à-main et s'interrompit dans son concert pour lui donner quelque chose. Un bout de papier ? Un pliage, plus précisément. Elle regarda Hally, l'interrogeant du regard. Quel ami ? De quoi parlait-elle ? Savannah passa en revue toutes ses connaissances mais ignora volontairement l'évidence. « c'est ton pote là, qui m'a donné ça. J'sais p'us, j'crois que c'était censé représenter un chien, ou… »

Ignorez l'évidence, et elle revient vous frapper, direct dans la mâchoire ! Savannah venait de réaliser qu'il s'agissait d'Adam. Elle se rappelait de cette journée à la fête foraine comme si c'était hier. Il lui avait gagné une peluche en forme de panda géant parce qu'elle le lui avait demandée. La jeune femme demeura interdite, le regard terriblement incrusté dans le petit bout de papier meurtri. Comme mon cœur... pensa-t-elle.

Demanda-t-elle un peu trop rapidement pour prétendre ensuite que ça n'avait aucune importance. Savannah ne savait pas si elle voulait l'ouvrir. Elle n'en avait pas envie. Et s'il lui avait fait donner ce petit panda avant qu'ils ne se soient disputés ? Peut-être qu'il avait tenté de la joindre lorsqu'elle pensait qu'il était trop occupé avec Esperanza et sa perfection exaspérante pour daigner appeler la pitoyable styliste qu'elle était. Autrement, il avait donné ce message à Hally après l'avoir déposée, le soir précédent. Peut-être même que ce panda ne comportait aucun message ? Non..., elle pouvait voir son écriture dépasser par les petits bouts de papier froissé. « Bon alors on regarde quoi ? »

Répondit-elle, distraite. Prenant son courage à deux mains, elle finit par déplier la pièce d’origami et y découvrit le collier. Elle le lui avait rendu, prétextant que ce n'était pas à elle qu'il aurait dû le donner, mais à celle dont il était amoureux. Elle ne le voulait pas, mais son cœur manqua un battement. Cachant l'objet dans ses mains, Savannah se mit à lire lentement, pour ne pas laisser l'émotion se lire sur son visage.

Savannah lâcha le bout de papier et porta le collier devant son visage pour mieux observer le petit pendentif en forme de cœur. Un couteau se plantait dans le sien. Son visage était plongé dans de la braise encore rougeoyante. Une larme roula doucement sur sa joue. Aussitôt, Savannah l'essuya d'un revers de la main. Sans plus attendre, elle dégagea ses jambes de sous Hally et se dressa sur ses pieds pour aller se réfugier dans la salle de bain.

Elle courut aussi vite que possible se cacher derrière la porte mais le collier glissa de sa main moite et tomba à quelques mètres de celle-ci, déjà close. Sérieusement Sav' ? C'est maintenant que tu décides de jouer les Cendrillon ?

À peine était-elle arrivée dans la salle de bain que Savannah se précipita sur le robinet pour faire couler de l'eau. Elle espérait ainsi étouffer le bruit de ses sanglots. Elle regretta soudain son choix : elle aurait été bien mieux sur son lit que sur ce carrelage froid. En plus de ça, Savannah aurait alors pu utiliser sa station d'accueil IPod  plutôt que de faire couler de l'eau inutilement. Plus écolo – en quelque sorte – et plus subtil. D'un autre côté, en se réfugiant ici, elle avait pu utiliser la carte du mal de ventre. Chose qui serait passée beaucoup moins bien si elle s'était enfermée dans sa chambre. Peut-être qu'Hally allait la croire et ne pas faire attention à la détresse de son amie ? C'était en tout cas ce qu'elle espérait. Mais elle la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle se trompait. Sous ses airs de blonde sans cœur, Hally était une fille sensible qui faisait attention à ses amies. Elle surveillait toujours leurs arrières. Savannah était bien placée pour le savoir puisqu'elles connaissaient toutes deux Hanna, la meilleure amie de la jolie blonde, et l'ex-amie de Savannah. Quand on réfléchissait bien, la brunette n'était jamais parvenue à avoir de vraie amitié avec une autre femme. Ou en tout cas, jamais sans se disputer au moins une fois avec elle. Même Hally n'avait pas échappé à la règle. Les deux jeunes femmes s'étaient disputées après que Savannah ait couché avec Lukas, son petit ami. Même si, techniquement, elle ne le savait pas, et qu'ils n'étaient pas tout à fait ensemble. Heureusement, les choses s'étaient arrangées entre les deux colocataires. « Ça va Chouchou ? » Assise sur le sol, « Chouchou » regrettait soudainement d'avoir cassé le poste radio qu'elle avait fait poser dans la douche. Les hauts parleurs étaient toujours incrustés dans le plafond de la salle de bain, mais c'était bien tout ce qu'il restait de l'appareil coûteux. Savannah s'était acharnée dessus quelques semaines auparavant parce qu'il refusait de mettre la bonne station. Et bah voilà... Contente ? Plus de radio, Hally peut t'entendre chialer comme une gamine et en plus tu tues des ours polaires en faisant couler de l'eau pour rien ! Savannah se passa grossièrement la main sur le visage pour essuyer ses larmes – ou bien pour étaler les gouttelettes salées sur sa joue, au choix. Elle tenta de se relever mais son corps était encore pris de sanglots. Sérieux là ? Il n'y avait quand même pas mort d'homme ! Un mec ne voulait pas d'elle et alors ? Oui mais c'est Adam... Ce n'était pas n'importe quel type. Ce n'était pas un prétendu beau gosse qu'elle aurait rencontré dans un night club et qui n'aurait pas voulu finir la soirée avec elle. C'était un gars bien, et il ne voulait pas d'elle parce qu'elle n'était pas suffisante. Elle pouvait comprendre ça. Elle-même ne se trouvait pas un grand intérêt. Il ne fallait pas avoir de grands attentes de la vie pour devenir l'amie de Savannah Lewis-Butler. Elle était naïve, superficielle, et carrément insipide ! « Chérie-choune, tout va bien ? Ouvres titoplait ? » Savannah entendit la voix d'Hally derrière la porte de la salle de bain. Merde... Elle devait s'être rapprochée du panneau en bois. Par conséquent, elle devait l'entendre pleurer. Savannah prit une grande inspiration et, tandis qu'elle tentait de contrôler ses sanglots, articula le plus naturellement possible :

Savannah n'était pas aussi stupide qu'elle en avait l'air. Elle se doutait bien que personne n'aurait cru à cette phrase culte, digne des toilettes d'un des nombreux bars où elle se rendait hebdomadairement. Sans prêter attention aux pas d'Hally qui s'éloignaient de nouveau, la brunette décida de se lever. Elle avait dû monopoliser toute son attention pour mentir à Hally. Et si le mensonge n'était pas des plus croyables, cela avait au moins eu pour effet de redonner un peu de force à son esprit. Une fois debout, elle s'approcha du lavabo, se lava machinalement les mains et consentit enfin à fermer le débit d'eau. De toute façon, ça sert vraiment à rien... Les murs étaient fins comme du papier à cigarette ! Elle était bien placée pour le savoir. Quand les deux jeunes filles s'étaient disputées, Hally avait pris un malin plaisir à lui rendre la vie difficile en faisant hurler sa musique dans tout l'appartement. Savannah s'observa dans le miroir et renifla bruyamment. Super. Pathétique et classe. Tu les accumules chérie ! Elle se moucha avec du papier toilette – parce qu'elle ne parvenait pas à trouver la boite de mouchoirs, pourtant juste devant ses yeux – fourra celui-ci dans la cuvette après utilisation et tira la chasse d'eau. La salle de bain était censée être le lieu du crime d'un vomissement, non ? Son nez ne dégoulinant presque plus, elle constata les dégâts. La fatigue et les pleurs n'avaient pas aider à faire dégonfler ses yeux. On dirait que je me suis faite frapper ! C'est dingue ! Fouillant dans sa trousse de maquillage, elle en sortit un correcteur censé aider à la disparition des traces de fatigue. Et contre les œils au beurre noir ? Bien sûr ça ne dit rien sur le sujet... Elle s'était rendue à l'évidence après avoir quand même jeté un regard aux conseils d'utilisation du produit miracle. Quelques couches du produit coloré sur ses poches plus tard, Savannah se trouva déjà moins triste à regarder. Elle ne se rappelait plus qui avait inventé le maquillage, mais elle lui vouerait un culte pour toujours ! Qui a besoin d'un dieu quand on a MAC ? Bien consciente qu'elle faisait ce qu'elle faisait toujours dans cette situation, à savoir détourner son attention avec ce qui pouvait bien lui tomber sous la main, Savannah décida de s'attaquer au reste de son visage. Mais un bruit de papier la fit sursauter. Elle observa la feuille sur le carrelage pendant quelques secondes avant de conclure qu'Hally ne lui avait finalement pas redonné la lettre-panda d'Adam. Elle avait un minimum de tact. En fait, elle lui avait fait un dessin et comme une gamine l'aurait donné à sa maman pendant que celle-ci se préparait le matin, elle l'avait glissé sous la porte. « Si tu veux je peux lui casser la gueule, les ex d'Hanna s'en souviennent ! » Le dessin ajouté à l'image mentale d'Hally en train de prendre une position de défense à la boxe devant un Adam ébahi lui fila un petit fou-rire nerveux. Savannah jeta un dernier coup d'œil son reflet, se retint tout juste de ne pas exploser le miroir, et consentit à déverrouiller la porte en soupirant.

Il n'y avait pas à dire : le traiter de cette façon lui faisait un mal de chien, et ce, même quand il n'était pas là ! Elle voulait pourtant le haïr ! Parce que c'était plus facile d'oublier quelqu'un si on le détestait ! Pas vrai ? Très vite, elle s'inventa une histoire et la récita à Hally comme si elle s'apprêtait à lui faire une présentation sur les nouvelles Jimmy Shoes.

D'accord... Elle avait tout inventé. Mais ce qui la choquait le plus, c'est qu'elle n'avait pas été en mesure de taire les vrais prénoms ! N'aurait-elle pas pu penser à autre chose ? Elle peignait là un vilain tableau ! Surprise de son propre mensonge, Savannah réalisa qu'il était de toute façon trop tard pour faire marche-arrière ! Mais putain tu réfléchis quand tu parles ?!!!!?

Faux et archi-faux ! À la minute même où ses lèvres avaient cessé de remuer, dans sa tête, une petite voix l'informa qu'elle se relèverait cette nuit pour aller fouiller dans la poubelle. Mais au moins, les apparences seraient sauves : elle était la femme bafouée qui agissait bravement et faisait tout pour passer à autre chose. Même si au fond, rien de tout cela n'était vrai. Savannah savait qu'elle faisait une grave erreur : Hally aurait compris la vérité, elle l'aurait même sans doute aidé à se sentir mieux. Mais c'était plus fort qu'elle : elle ne pouvait pas la laisser voir son vrai visage. C'était trop dur. Quitte à ce qu'elle soit déçue d'elle, autant que ça soit du mythe que Savannah entretenait.

Un moulin à parole. Ou plus précisément : un moulin à conneries. Si elle n'avait pas été en compagnie d'Hally, Savannah aurait sûrement écarquillé les yeux de sa propre bêtise. Était-ce sa voix qui venait de jurer à la tromperie ? À la traîtrise d'un petit-ami dont elle était folle amoureuse ? Elle en doutait fortement. Mais c'était sans doute uniquement parce qu'elle avait honte de ses propos. Adam n'aurait jamais fait une telle chose. Déteste-le ! Bordel ! Elle tentait de persuader que le haïr était la meilleure des solutions, mais elles en avaient la preuve en cet instant précis : Savannah n'était pas doué pour cela, et lorsqu'elle forçait le destin, elle ne faisait pas dans la dentelle. Plus dans le mensonge qu'autre chose d'ailleurs... Elle était consciente que cette déformation de la vérité était une injure à l'amitié d'Adam qui n'avait été que bonheur et enrichissement personnel. Mais ça avait été plus fort qu'elle ! Peut-être qu'inconsciemment, elle tentait de détruire son image d'homme parfait – quitte à mentir – pour pouvoir enfin le détester comme le souhaitait. Sa tête lui disait quelque chose mais son cœur lui disait tout l'inverse. Perdue dans le cosmos, la jeune femme ne savait plus différencier sa bonne étoile de celle qui ne la conduirait nulle part autre que vers sa propre destruction. Il ne fallait pas être devin pour prédire la chute brutale qui attendait la belle styliste à la fin de son parcours. Elle l'aurait bien cherché... Savannah observa Hally avec effroi, réalisant aussitôt que de toute façon, il était trop tard pour faire marche-arrière. Bien sûr, c'était faux. On avait toujours le choix. Elle aurait pu le dire, là, maintenant, tout de suite. Avouer la vérité en s'excusant, expliquant à la jolie tête blonde qu'elle souffrait et qu'elle cherchait à détruire l'image infaillible qu'elle se faisait de lui pour moins pleurer. Mais Savannah n'en eut pas l'idée. Elle s'engagea alors tête baissée dans un chemin tortueux qui, au lieu de l'aider à passer à autre chose ne ferait que l'enfoncer encore plus dans son trou. D'ailleurs, si Savannah avait pu se creuser un trou, là tout de suite, pour disparaître de la surface de la Terre et se faire oublier, elle l'aurait fait. Mais le carrelage de sa cuisine américaine ne lui permettait pas d'élaborer un savant plan d'évasion. De plus, elle n'avait pas de pelle et ses petites cuillères ne survivraient sûrement pas à l'assaut du sol d'un blanc immaculé ! Réalisant que c'était peine perdue, Savannah essaya de se donner le plus de contenance possible. Un petit sourire par là, une approbation d'Hally par-là, elle avait véritablement l'impression de parvenir à son but. Mais était-ce vraiment le cas ? Combien de temps la jolie tête blonde serait-elle dupe ? Elle aurait peut-être mieux fait de dire toute la vérité sur cette histoire : la grande styliste géniale qu'adorait Hally n'était rien d'autre qu'une ratée, trop effrayée pour tenter sa chance dans le véritable domaine qui l'intéressait, trop nulle pour s'attirer les faveurs romantiques de son meilleur ami dont elle était « cruche-ment » tombée amoureuse. J'peux pas... Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, au moins, ce n'était pas vraiment elle. Elle pouvait au moins s'endormir en se disant que de cette façon, elle s'était protégée de l'avis des autres. Mais ça aussi, ce n'était qu'un mirage qui se fissurait toujours un peu plus chaque jour dans son esprit. Savannah réalisait bien sûr que ça ne faisait que la mettre à l'écart de toute vraie relation. La tête qu'ils vont faire le jour où ils sauront la vérité... Ils me détesteront, c'est clair ! Seul Adam était parvenue à creuser profondément dans sa carapace. Il s'y était fait une petite place et doucement, s'était construit une place de choix dans le cœur de Savannah. Le fait qu'il ne l'aimait pas comme elle pouvait l'aimer suffisait à la très-peu-sûre-d'elle jeune femme pour considérer cette effraction à la règle comme une grossière erreur !  « J'l'ai toujours dit, faut jamais rien garder d'un ex. J'vais tirer la gueule moi quand Lukas va me larguer ! » QUOI ? Lukas l'avait larguée ? Non... Ce n'était qu'une petite plaisanterie d'Hally. Perdue dans ses pensées, Savannah n'avait pas tout de suite compris de quoi il s'agissait. Le collier... Elle venait pourtant d'en parler elle-même, demandant de l'aide à sa très-géniale colocataire pour le retrouver et le jeter. Au moins, ça préservera les apparences... De toute façon, elle comptait bien fouiller dans la poubelle quand Hally s'assoupirait. La tête dans les nuages – de gros Nimbostratus qui masquait le soleil, à savoir toute éventualité de bonheur, Savannah observa Hally immergée dans son personnage de blondinette maladroite. Elle savait où était le pendentif, mais elle ne savait plus. Cela suffit pour tirer un petit sourire à Savannah. Il était encore ridiculement, grotesquement, stupidement petit, mais c'était déjà un progrès. Une vraie amie cette Hally-là ! Mon petit Hallygator... songea-t-elle, touchée par la gentillesse de la jeune fille. Mais comme pour remuer le couteau dans la plaie, Savannah se rappela qu'elle n'était pas vraiment son amie, mais celle de Naughty Lewis. Et ça, c'était de sa faute à elle ! Elle ne pouvait rejeter la faute sur personne d'autre. Hally s'était précipitée dans sa chambre, Savannah se permit une petite grimace. Mais la blondinette revint très vite sur ses pas, lui présentant fièrement le médaillon qu'elle avait enfin retrouvé. « Tu sais ce qui serait vachement plus cool que de le jeter a la poubelle ? Que j'aille étrangler la biatch d'Esperanza avec ! Ça se serait trop chouette. Et après je crèverai les yeux d'Adam avec le pic du cœur, bim , pwit pwit ! » Savannah pencha la tête sur le côté, réalisant cette fois qu'elle plaisantait – pas vrai ?. « ou sinon on peut aussi le jeter à la poubelle, ouais... c'est pas mal aussi... » Savannah se força de sourire, tout de même amusée par l'intrépide – et limite flippante comme psychopathe – Hally. Elle baissa la tête un centième de seconde avant de la relever et de s'emparer du collier. Comme pour se mettre en scène, elle prit soin de faire des gestes lents et à pleine visibilité de sa colocataire. Et ainsi, elle jeta le collier dans la poubelle de la cuisine. Réprimant son envie de plonger les deux mains dans le réceptacle à ordures, Savannah relâcha la pression de son pied sur la pédale et le couvercle de la poubelle se rabattit aussitôt dans un bruit de taule dramatique. Ou c'est juste moi qui déraille...

Mentit-elle. Savannah partit se laver les mains, comme si le contact avec le collier l'avait salie. Les yeux rivés sur le robinet, la jeune femme regarda le débit d'eau s'écraser sur ses mains savonneuses. C'était presque reposant... Savannah regrettait d'avoir ingurgité de la viande la veille au soir, à cause de cette satané erreur – une parmi plusieurs – elle ne pouvait pas boire d'alcool ce soir. Sa faune intestinale était encore un peu trop fragile pour subir l'assaut de plusieurs litres de Tequila.

Ce n'était pas comme si elle avait finit en cellule cette après-midi. Si...

Mais qu’est-ce que tu fous ? T’es stupide ? Ferme cette putain de poubelle ! … maintenant ! Savannah observait le collier qu’elle venait de jeter à la poubelle. Ne pas s’y jeter pour récupérer son bien – où « objet de malédiction », au choix – lui prenait tout son courage. Elle ne voulait pas être de celles qui pardonnent à un homme les ayant trompées. Le problème, c’est qu’Adam n’avait rien fait et que par conséquent, un conflit s’était installé dans l’esprit déjà torturé de la styliste. La chroniqueuse mode qui sommeillait en elle voyait mille et une astuces pour utiliser cet accessoire. Mais la femme blessée, elle, ne voyait pas les choses de la même façon. Son point de vue était tout autre, mais c’est parce qu’elle était blessée. Adam avait préféré mettre un terme à leur amitié plutôt que de tomber amoureux d’elle. Faux ! C’est toi qui l’a jerté ! Pour peur, elle se serait bien insultée, là, maintenant. Mais le regard pesant d’Hally lui donnait envie de se recroqueviller sur elle-même. Finalement, elle relâcha la pression sur la pédale, et la poubelle se referma. C’est fini. C’était comme mettre un point à la conclusion finale du mémoire qu’elle ne ferait jamais – parce que « trop conne pour de vraies études ». « Une belle fin pour le cadeau d'une Ordure. » Retire ça ! Retire ça j’te dis ! Savannah eut une absence durant laquelle elle s’était vue arracher les cheveux de son amie pour avoir dit une telle calomnie. L’ordure, d’abord, c’était elle ! Et personne d’autre ! Lorsqu’elle revint à elle, la brunette cligna des yeux comme pour s’assurer qu’il n’en était rien. Non, elle n’avait pas porté de coup au si précieux visage de son Hallygator. T’es sérieuse là ? Tu le défends alors qu’il préfère être avec sa grognasse de perfection insipide ? Elle n’avait décidément pas les idées claires. Esperanza n’avait absolument rien fait de mal. Mais elle n’était plus à une erreur près. Si elle était capable de s’en prendre à Adam de la sorte, elle pouvait très bien en faire autant avec Miss Perfection. Elle l’avait bien cherché après tout ! On ne pouvait décemment pas être aussi parfaite et s’attendre à ce que personne ne vous en veuille ! Elle l’a cherché… Savannah tentait de se donner bonne conscience. Mais c’était perdu d’avance. Comme beaucoup de choses avec elle puisqu’elle refusait de se donner une chance. Ce n’était pas tant les autres le problème, mais elle-même. Avec effroi, Savannah observa son amie rouvrir la poubelle pour fixer le médaillon à son tour. Mais qu’est-ce que tu fous ? À tous les coups, elle devait avoir aperçu un truc important qui lui appartenait, et qu’elle avait dû jeter sans faire attention. Oui, voilà, ça doit être ça ! Elle se mentait à elle-même, mais ça avait le bénéfice de lui calmer les nerfs. L’illusion qu’elle s’infligeait toute fut renforcée par une Hally hésitante à mettre ses mains dans la poubelle. Elle devait chercher quelque chose. Assurément. C’était quasi sûr. Peut-être pas tant que ça finalement… En fait non. Elle ne cherchait rien. Les mains manucurées de la belle blonde se refermèrent sur les poignées du sac poubelle et elle tira dessus pour le fermer. Une fois son nœud fait, la jeune femme souleva le sac de son conteneur sous le regard d’une Savannah choquée. Son œil droit tressaillait et elle avait encore une absence. Venait-elle vraiment de poignarder sa bonne copine avec un couteau de cuisine qui lui était tombé sous la main ? Non. Heureusement, ses pensées meurtrières ne restaient que ce qu’elles étaient : de vagues idées qu’elle savait stupides et folles à lier. Sans un mot, Savannah regarda son dernier souvenir d’Adam – matériel en tout cas – se faire emporter au loin par la blondinette. Pour peu, elle aurait presque fait signe au revoir au sac poubelle, comme une de ses héroïnes préférés dans ces films à l’eau de rose, qui courraient après le train qui emportait leur bien aimé. Mais chut, c’était un secret ! « Partante pour la virée en voiture, si c'est moi qui conduit. » Elle répondait partante à sa distraction. Si elle parvenait à détourner son attention du sac, peut-être qu’elle l’oublierait et qu’il resterait là toute la semaine – comme toutes les autres poubelles dont elle amorçait personnellement la sortie, mais qu’elle ne descendait que lorsqu’elle y pensait. D’ici là, elle pourrait l’ouvrir à la dérober, chiper le collier et refermer le sac « ni vu, ni connu, j’t’embrouille ! ». Hally avait insisté pour conduire elle-même et ce n’était pas plus mal. Savannah avait passé son permis de conduire comme toute jeune fille de 16 ans à Topéka. Là-bas, la voiture était vitale. Mais son arrivée à New York avait changé beaucoup de choses, y compris ses moyens de locomotion. Elle s’était transformée en véritable citadine et privilégiait le taxi et le réseau sous-terrain à sa voiture personnelle. De toute façon, elle n’en avait même plus. Elle avait vendu son auto pour se payer le billet qui l’avait conduit à New York. Ses frères et sœurs n’étaient pas au courant, mais leurs parents n’avaient pas vu d’un très bon œil le départ de Savannah qui, très franchement, n’était pas la plus calme des Lewis-Butler. Avec son tempérament et son caractère qui attirait les soucis, elle risquait de se retrouver en première page d’un journal, victime d’une agression dont elle ne s’était pas sortie, retrouvée à demie engloutie par une plaque d’égout. En somme, le gros cliché de la campagnarde rebelle qui décidait de partir pour New York. Ils avaient tenté de l’en empêcher et Savannah avait dû se débrouiller seule. C’était une raison de plus pour elle de jalouser ses sœurs et leur frère : ils étaient si parfaits qu’on les avait poussé à faire ce qu’ils voulaient dans la vie, à être heureux et à faire ce qui leur plaisaient. Elle aussi, mais elle ne l’avait jamais vu, jamais compris. Il faut dire qu’elle était de nature rentre-dedans, et son moyen de défense avait toujours été l’attaque. À force de les attaquer, elle avait fini par braquer ses parents. Hally partit chercher leurs vestes tout en s’excusant de son choix de films : « J'suis désolée sérieux, tu m'aurais dit, j'aurais loué plutôt des films comme John Tucker doit mourir, t'sais avec le jardinier de Whisteria Lane, ou je sais pas... Saw ? » Savannah sourit, laissant un petit gloussement sincère s’échapper de sa gorge. La jeune femme balaya les excuses de son amie d’un mouvement de tête désapprobateur ; sa façon à elle de lui faire savoir qu’il n’y avait pas besoin de s’excuser. Elle était là, c’était tout ce qui comptait… Même si au fond, elle n’avait aucune idée du comment, du pourquoi. Savannah lui avait menti. Les jeunes femmes s’apprêtèrent à sortir dans la rue quand Savannah s’aperçut qu’elle tenait la petite veste en jean qu’elle avait portée la veille. Elle avait dû la laisser dans l’entrée et Hally avait prit la première qu’elle avait trouvée. La styliste s’exclama qu’elle ne voulait pas mettre la veste en question et rentra en trombe dans l’appartement. Elle courut jusqu’à sa chambre, attrapa une veste adéquate dans son dressing et ressortit aussi sec. Malheureusement pour elle, ce fut laisser assez de temps à Hally pour que celle-ci se rappelle du sac poubelle… Tu pouvais pas la garder ta veste, grognasse ?!!!! Elle était bien punie ! « Elle est méga pleine, on repousse toujours le moment fatidique de la descendre. J'dis pas ca parce que y'a ton collier dedans hein. » Sans les derniers mots de la blondinette, Savannah aurait presque pu la croire. Mais elle n’était pas dupe : Hally voulait lui épargner la torture de savoir le collier présent, là, à quelques mètres d’elle. Mais de quoi tu t’mêles d’abord ?! RENDS-MOI LE COLLIER ! Dans son for intérieur, Savannah se voyait prendre le sac et lui lancer à la tronche pour le faire s’ouvrir et ainsi récupérer son précieux. En fait, quasiment plus rien ne la différenciait de Golum dans le Seigneur des Anneaux. Brrrrrrr… c’était effrayant, rien que d’y penser !

Elle et les voitures…

Une ballade en voiture : voilà ce dont Savannah avait besoin ! Elle n’était pas de ceux qui prenaient le volant dès qu’ils avaient besoin de changer d’air. Pour elle, conduire ne rimait pas forcément avec s’aérer l’esprit. D’ailleurs, elle ne conduisait jamais. New York avait un réseau de transports en commun suffisamment développé pour qu’elle n’ait pas à s’acheter de voiture. Son lieu de rendez-vous était encore trop loin de la bouche de métro ? Elle appelait un taxi pour qu’il l’attende en haut des escaliers. Dans la Grosse Pomme, il suffisait d’être un tant soi peu ingénieux et on trouvait toujours une solution pour économiser ses pieds. Et puis, monter et descendre les marches du réseau sous-terrain lui offrait un exercice non-négligeable pour ses belles gambettes. New York City était un immense terrain de jeu. Encore fallait en déchiffrer les codes. Pourtant, à cet instant précis, Savannah ressentait le besoin d’avoir les cheveux ébouriffés par le vent. Elle voulait s’oublier en criant debout dans une décapotable. La styliste avait l’envie soudaine de sauter d’un toit en parachute. Elle rêvait de sauter à l’élastique du haut d’un pont. L’adrénaline monté au cerveau, les yeux grands ouverts et un sourire fou aux lèvres : voilà comment elle voulait être ces trois prochaines heures. Hally lui avait promis de passer la soirée avec elle. Et si elles n’allaient pas regarder de films, elles pouvaient tout de même profiter de cette belle soirée. Qu’Adam aille au diable ! songea-t-elle en voyant la blondinette déposer le sac poubelle à côté de la benne, originalement prévu à cet effet. Elle était pleine et n’avait même pas de place pour un petit sac. De toute façon, voir ce sac de détritus renfermant le collier offert par Adam lui rappellerait bien trop de mauvaises prises de décisions. Le fait de boire ce soir-là, de se pointer chez un Adam déjà pas vraiment dans son assiette, de lui avouer ses sentiments avec le moins de tact possible, de se disputer avec lui, de mettre un terme à toute relation, à essayer de l’obliger à la haïr, de finir la soirée à pleurer, de renverser le café de Kalyani sur elle, de finir en prison, de se disputer encore davantage avec elle, et enfin… de mentir à Hally. La sincérité de la blondinette n’aidait pas Savannah à relativiser. Elle qui était si mignonne avec son abrutie de colocataire… Et elle osait lui faire ça ! Pourquoi j’peux pas être normale pour une fois, sérieux ?! Elle allait se remettre à pleurer si elle ne trouvait pas bientôt un autre sujet sur lequel attirer son attention. « oui la mini est décapotable. Lukas est vraiment un ange quand même… » Savannah sourit. Elle savait qu’Hally avait encore un peu de mal à aborder le sujet J’aime-Lukas-et-je-suis-trop-heureuse-tu-peux-pas-testes avec elle. Et Savannah était bien consciente d’avoir un grand rôle à jouer dans ce malaise si bien installé entre elles. Alors, comme pour essayer encore un peu plus la glace, Savannah décida de dire l’évidence :

Elle était contente pour elle, quoi qu’on en dise ! Il était bien difficile de trouver chaussure à son pied. Même dans une aussi grande ville que New York. Parfois, ce n’était simplement pas fait pour durer. Et d’autres fois, c’était tout l’inverse. Une évidence. Une infinité. Ils étaient tout ça aux yeux d’une Savannah follement et secrètement romantique. En voiture Simone. Ça y est, elles étaient assises dans la Mini d’Hally. Savannah se permit de croire que sa vie allait prendre un tout autre tournant ce soir-là. Un surplus de négatif introduisait nécessairement du positif, pas vrai ? « Direction plage ! Hé, en parlant de playa; l'air con, j't'ai pas raconté ? » Et sans attendre, la belle jeune fille remédia à cela en s’attachant les cheveux. Savannah remarqua l’intérieur de sa boite à gants et laissa un léger sourire s’installer sur ses lèvres. C’était sûrement ce à quoi ressemblerait sa voiture si elle en avait une. Peut-être pousserait-elle le vice jusqu’à placarder des articles de mode et des photos de défilés un peu partout dans l’habitacle ? Comme pour trouver l’inspiration à tout moment ? La brunette tenta de mettre les choses dans l’ordre : Hally était allée à la plage. Jusque là, rien de bien compromettant. Mais sur le sable fin, elle avait fait la rencontre d’un mec alors qu’elle était bourrée. Elle avait donc dû boire pas mal. Sans doute seulement à but festif. Et les choses s’étaient un peu corsées entre les deux jeunes gens jusqu’à ce qu’Hally ne frôle l’irréversible. Elle s’était donc arrêté en bon chemin – ouf !. Savannah ne fit même pas le rapprochement avec l’histoire malvenue qu’elle avait partagée avec Lukas. Pour elle, c’était un malentendu, un vulgaire accident qui n’était pas près de se reproduire. Et c’était là qu’elle perdait un peu le fil… Hally exprima des regrets quant aux choix qu’elle avait pu faire avec un de ses ex. Selon elle, si elle avait simplement laissé les choses se faire – en gros, si elle avait couché avec quoi ! – elle serait peut-être encore avec l’homme en question aujourd’hui. Un mal pour un bien… fut la conclusion qui s’imposa à l’esprit de Savannah une fois qu’elle eut décortiqué toute cette histoire. Mais alors, Hally ajouta quelque chose qui mura un peu plus Savannah dans le silence. Elle en perdit d’ailleurs le sourire. Fort heureusement pour elle, la styliste était tournée vers la vitre de sorte à ce que la conductrice ne puisse voir son visage que dans le faible reflet que lui offrait la paroi de verre. Elle ne voulait pas être celle qui la dévergondait ! Quand elle voyait où tout cela l’avait amenée – Nulle part ! Enfin si, dans le mensonge, la douleur et les faux-semblants !, Savannah ne voulait attirer personne dans ces eaux profondes ! Parce qu’un tourbillon pouvait vous avaler par surprise, sans que vous ne puissiez lutter contre son courant dévastateur ! Et ce, à tout moment. Spécialement quand on s’y attendait le moins ! « On n’a rien pris pour se sécher… » Hally baragouina quelque chose à propos d’une serviette laissée dans son coffre, mais ce fut un prénom qui attira l’attention de la jeune femme. Enrique ? Ça faisait deux fois qu’elle le prononçait mais l’information venait tout juste de faire TILT ! dans sa tête. « […] t'sais quoi, j'devrais te le présenter, on irait au bar où il travaille. Il est super sympa, j'l'aime beaucoup. » Savannah n’était pas très sûre de la génialité de ce plan. En premier lieu parce qu’elle se voyait mal sortir avec un ex d’Hally – surtout après l’histoire « Oh fait, j’ai couché avec Lukas la nuit dernière mais je n’savais pas qu’c’était le mec dont tu m’parlais et tu vas le découvrir en sortant de ta chambre pour prendre un café avec moi dans la cuisine, top, hein ? ». Et deuxièmement parce que ce Enrique, il y avait des chances pour qu’elle le connaisse déjà. Parce qu’un Enrique bien foutu, elle en connaissait un. En fait, elle était même sortie avec lui. Autant dire que c’était chose rare dans la vie de Savannah depuis son arrivée à New York. Presque un cas isolé ! Elle s’était laissée attirer dans les filets du beau parleur. Ils étaient tous les deux jeunes, beaux et sacrément splendides. Ça aurait été du gâchis de ne pas profiter de ces corps s’ils étaient attirés l’un par l’autre. Et puis, sans qu’elle ne s’en aperçoive, les deux jeunes gens s’étaient mis ensemble. Une relation de couple… Il n’était pas étonnant qu’il n’avait pas duré. Savannah n’était pas prête à faire confiance à qui que ce soit. Et elle savait que pour que son couple survive, il fallait qu’elle soit toujours sincère. À l’époque, c’était une chose encore moins envisageable qu’aujourd’hui !

Décidément, la Terre était petite. Et Hally allait sûrement penser que son amie avait couché avec tous ses habitants… enfin, tous, sauf elle. Elle avait interrompu la jolie blondinette dans son imitation de Rihanna, mais elle préférait en avoir le cœur net. Bientôt, Hally se gara sur une place de parking. Elles étaient arrivées. L’océan n’était plus qu’à deux pas. Savannah sortit du véhicule et suivit son Hallygator vers le coffre.

Malaise, malaise… Mais Hally avait parlé de les mettre ensemble, pas vrai ? C’est qu’elle n’était pas aussi accroché à son ex qu’elle ne le laissait penser ?

Hally continua de vanter les talents du « beau Enrique barman sexy » à sa bonne copine aux yeux médusés. Les coïncidences s'accumulaient bien trop pour n'être que cela. Mais Hally n'avait pas l'air de se rendre compte du malaise qui s'installait autour de la voiture. C'était elle qui avait raison : Savannah devait se changer les idées ! Et pour cela, elle devait oublier ses problèmes et foncer plonger la tête la première dans l'eau salée. La brunette songea un instant à se teindre les cheveux en blond : la vie avait l'air bien plus drôle quand on était blonde platine. Et son balayage châtain clair était loin de lui offrir la vie de fêtes et de joie promise aux blondes californiennes – ou nordiques, pour le coup. « Allez viens. » Le coup d'envoi était donné. Hally lui attrapa la main et l'entraîna sur la plage. Elles coururent comme deux échappées d'asile vers l'eau sur laquelle se reflétait l'image ondulante de la lune qui était montée tout doucement rejoindre les étoiles. Elles allaient si vite que Savannah eut, un court, bien trop court instant, l'impression de s'envoler. À quelques mètres de l'eau, la brunette retira ses vêtements en oubliant intentionnellement ses sous-vêtements et se remit à courir. Enfin, l'ultime tentative de délivrance accueillit Savannah dans ses bras. L'eau l'entoura, fraîche et revigorante. Rien ne pouvait plus l'atteindre. Si ce n'étaient les cris amusés de sa bonne amie. Savannah se surprit à rire tandis que l'eau s'infiltrait dans le peu de vêtements qui lui restaient pour venir caresser sa peau chaude. L'écart de température était frappant. Et pourtant, la brunette ne pouvait cesser de courir pour s'enfoncer encore plus loin dans l'océan agité. Les vagues qui frappaient la côte lui paraissaient calmes comparées aux tumultes de sa propre vie. Une d'elle engloutit la brunette avant de se retirer sur le sable. Savannah émergea de l'eau froide en riant.

Autre vague. Autre immersion dans un monde sombre, et pourtant moins que la vraie vie. Elle y serait bien restée mais ses poumons protestaient. Savannah n'était pas prête à mourir. Non pas par lâcheté, mais par manque de courage. Lana devrait attendre. Ils devraient tous attendre.

Bientôt, le froid de l'eau finit par glacer Savannah jusqu'aux os. Elle voulait maintenant sortir et se blottir auprès du feu. C'est décidé, j'fais installer un poêle à bois ! Au lieu de cela, elles allaient sûrement se réchauffer le corps à grand coups de shots de tequila. La styliste sortit des vagues en grelottant et s'essuya rapidement en attendant Hally. Lorsque celle-ci rappliqua, Savannah l'accueillit dans la serviette qu'elle tendait de ses bras fins. Sa peau frissonnait et dressait bien droit ses poils pour lutter en vain contre le vent. Elle avait bien fait de laisser ses fringues derrière. Le sable qui y avait fait son chemin la grattait un peu, mais au moins, elle était au sec.

Ça avait fonctionné ! Savannah avait oublié ses soucis. Mais pour combien de temps ? Elles retournèrent à la voiture presque aussi rapidement qu'elles l'avaient quitté et se jetèrent sur les sièges avants. La styliste pria Hally de monter le chauffage au maximum de sa capacité. Soudainement, elle n'était plus très sûre de vouloir rouler sur l'autoroute la capote ouverte et les cheveux au vent. Elle avait déjà eu suffisamment mal au ventre comme ça pour s'imposer en plus une grippe carabinée. Les cheveux de la jeune femme lui coulaient sur les épaules.

Elle aurait tout donné pour une bonne douche chaude, là, tout de suite. Mais leur plan « viens, on se change les idées et on prétend que tu vas bien Savannah » n'arrivait pas encore à son terme. Les deux jeunes femmes avaient prévu de faire une virée sur l'autoroute du coin, et elles comptaient bien mettre en marche la phase deux. Savannah demanda à Hally de lui passer la serviette et entreprit d'essorer ses longues mèches trempées au dessus de ses genoux. Elle regrettait de ne pas avoir pris son peignoir. Il était trop doux! et incroyablement chaud et confortable. Justement ce dont elle avait besoin. Ou un chocolat chaud... Oh ! Ouais... un chocolat chaud !

Au lait de soja, ça allait de soi. Passer la soirée à taper sur la gueule métaphorique des mecs en écoutant du Britney Spears, ça avait aussi du charme. Mais évidemment, ça permettait bien moins de se vider la tête et d'éviter le sujet « Adam and Esperanza, seating on a tree, K-I-S-S-I-N-G ». Même s'ils n'étaient pas assis sur la branche d'un arbre. Et qu'ils n'étaient pas non plus, en tout cas Savannah l'espérait, en train de se rouler de grosses pelles. Dégueu ! En fait, les lèvres du jeune homme sur un autre bouche que la sienne lui faisait imaginer le jeune homme en train d'embrasser un poisson-chat. Le plus parfait, et le plus beau des poissons-chat, peut-être, mais un poisson quand même ! Sav' ! Sa conscience venait de la rappeler à l'ordre. Elle avait promis de ne plus penser à Adam et elle s'efforcerait de tenir sa part du marché. Pour ce soir en tout cas.

Jamais il ne serait venu à l'esprit de la styliste qu'une fille comme elle puisse la prendre, elle, la ratée, pour modèle. Même si elle semblait oublier les circonstances plutôt atypiques de leur rencontre.