C'était un de ces soirs où la jolie fille qu'était Savannah ne pouvait penser à rien d'autre qu'à sa pitoyable existence. Il lui semblait que dans ces moments de blues, elle ne pouvait rien faire d'autre, si ce n'était noyer sa tristesse dans l'alcool. Une réaction qu'elle expérimentait bien souvent depuis son adolescence. Elle avait toujours senti qu'elle n'était pas à sa place. D'abord dans sa famille, puis au lycée, et enfin dans son cercle d'amis à New York. C'était pourtant difficile à croire de l'extérieur. En effet, Savannah arborait toujours un sourire confiant. Elle paraissait sûre d'elle et marchait d'une démarche digne des plus grands mannequins. La plupart de ses amies étaient connues ou étaient en passe de le devenir. Elle exerçait un métier qu'elle aimait et avait réussi à réunir une liste impressionnante de clientes dont elle était devenue le styliste personnel. De plus, chacune, ou presque, de ses soirées était rythmée par une fête donnée en ville. Alors pourquoi se sentait-elle si vide ? Le belle jeune femme entra dans son troisième bar de la soirée. Elle s'assit avec peine sur le tabouret haut du comptoir et réclama une bière. Le serveur la regarda un instant, jaugeant son niveau d'alcool et finit par obtempérer. La jeune femme se saisit de la bouteille et en prit une grande gorgée. Sa tête lui tournait et elle avait l'impression que son crâne menaçait d'éclater à tout moment. Pourtant, elle s'en fichait. Elle se connaissait suffisamment pour savoir que dans quelques dizaines de minutes, son taux d'alcoolémie serait redescendu à un niveau quasi-acceptable. D'accord, elle serait toujours un peu saoul, mais son état se serait remarquablement amélioré. Savannah prit une nouvelle gorgée de sa boisson dorée et se détourna du bar. Assise sur son perchoir, elle observa les tables de l'établissement. Comme à chaque fois qu'elle se retrouvait en soirée, elle cherchait un bel homme à se mettre sous la dent. Et ce, qu'elle soit seule ou pas. C'était sa façon de vivre, de s'amuser. La jeune femme refusait de se caser avec qui que ce soit. Elle n'avait pas ressenti pour un homme depuis bien longtemps, et c'était aussi bien comme ça. La solution était peut-être là, finalement : elle allait enchaîner les hommes dans l'espoir de ressentir quelque chose sans jamais parvenir à tomber amoureuse. Elle resterait peut-être vieille fille, mais au moins, elle prendrait du bon temps ! Savannah repéra deux trois hommes acceptables, mais elle su à la seconde même où elle tentait de se dresser sur ses jambes qu'elle n'était pas en état de marcher jusqu'à l'un d'eux. Et encore moins de le draguer si lui-même n'était pas déjà aussi ivre qu'elle ! Elle décida donc de prendre son mal en patience et de ronger son frein, là, assise au bar.

Une bonne heure plus tard, Savannah ressortit des toilettes où elle était partie se refaire une beauté. La jeune femme se sentait un peu mieux et préparait son plan d'attaque. Après avoir vérifié que son teint ne comportait aucun défaut, que ses yeux étaient toujours joliment mis en valeur d'un "smokey noir", et qu'elle n'avait pas de rouge à lèvres sur les dents, elle s'était sentie fin prête à retrouver un des hommes qu'elle avait repérés à son arrivée. Son choix se porta sur le premier apollon dont elle avait croisé le regard. Elle se sentait encore un peu pompette, mais la pastille de menthe qu'elle porta à ses lèvres s'occuperait de son haleine alcoolisée.

Et sans attendre la réaction du jeune homme, Savannah s'assit en face de lui. Il était seul après tout ! Que pouvait-il avoir de mieux à faire que de se faire draguer par une charmante créature telle qu'elle ?! Hein ?!

En général, son surnom suffisait à donner des idées peu catholiques aux hommes. Elle s'était assise un peu trop brusquement au goût de sa tête qui recommença à la lancer. Pour se donner une contenance, Savannah ajouta :

"Je vous appellerai Savannah alors. C'est plus jolie. Moi c'est Adam." D'accord. Soit c'était mal partie, soit ce mec était un type bien. La jeune femme pencha la tête sur le côté et ne put s'empêcher de glousser. L'alcool peut-être... ou peut-être pas. Généralement, elle craquait – si on pouvait dire cela – pour le même type d'homme : baraqué, fêtard et libéré. Mais ce soir, elle semblait avoir jeté son dévolu sur un homme plein de principes et de gentillesse : un gentleman. Cela ne lui arrivait que rarement, mais elle était prête à relever le défi. Gentleman ou pas, il n'était qu'un homme. Et s'il n'était pas pris, Savannah ne voyait aucune raison pour qu'ils ne terminent pas tous les deux enroulés dans ses draps. Malgré tout, elle se sentait gênée. Les hommes semblaient aimé cette facette qu'elle se plaisait à renvoyer. La fille superficielle et prête à tout plaisait à beaucoup de mâles. Il est gay... Voilà quel était le raisonnement que Savannah avait trouvé de plus logique. Mais un bref regard lui confirma qu'il était bel et bien hétéro. Il était juste quelqu'un de bien. Quelqu'un que sa famille aurait adoré ! Un homme que son grand-frère n'aurait sûrement pas juger dès les présentations. Jusqu'alors, Savannah s'était une question d'honneur de toujours décevoir sa famille. Et Alexandre, bien que poli comme il était, avait toujours méprisé les types qu'elle ramenait à la maison. Finalement, il n'avait pas tort. Et c'était sans doute pour cela que Naughty Lewis s'était mise à collectionner ce genre d'homme. Autant dire qu'elle se sentait un peu désarçonnée. Adam. se répéta-t-elle pour elle-même. Ses cheveux tiraient sur le blond et portés très courts. Il avait ce visage attendrissant que les femmes trouvent sexy ainsi que le regard vif et profondément attirant. Comme Savannah ne répondait pas, le jeune homme s'excusa de monopoliser la table. Visiblement, jamais il ne lui serait venu à l'idée qu'une fille comme elle puisse s'intéresser à une homme comme lui. Il n'avait donc pas connaissance de son attirance... Très bien. Ça je peux l'utiliser... "je peux vous la laisser. J'allais partir, on m'a posé un lapin." Consciente qu'elle le mettait mal à l'aise, Savannah se pencha un peu en avant et lui répondit suffisamment fort pour qu'il soit le seul à l'entendre :

Elle lui sourit et porta sa main à ses cheveux.

D'accord, c'était faux. Mais cela, il n'avait pas besoin de le savoir ! Lui raconter qu'elle noyait son chagrin dans l'alcool n'aurait pas été très glamour. La jeune femme replaça finalement une de ses mèches de cheveux.

Savannah allait se contenter de le mettre mal à l'aise en le flattant. Lorsqu'un garçon jouait les timides, cette technique semblait toujours porter ses fruits. Elle ne se doutait pas un seul instant que le cœur du jeune homme était déjà pris par une mystérieuse jeune femme. La jeune femme tenta d'attraper son regard du sien. Si elle voulait obtenir de lui ne serait-ce qu'un baiser, elle ne devait pas le laisser filer.

Savannah lui offrit un nouveau sourire. Mais finalement, qui cherchait à fuir, lui ou elle ? Alcool ou pas, cette question risquait de chambouler tous ses plans.

La jeune femme souriait. Lorsqu'elle battait des cils, elle pouvait quasiment voir l'air dédaigneux que prenait ses parents lorsqu'elle leur présentait l'homme qu'elle fréquentait. Savannah avait parfois une imagination débordante. Mais quand il s'agissait d'hommes, elle ne se trompait pas : ses parents avaient toujours regretté les goûts douteux de leur fille en la matière. Et à juste titre sans doute... Elle traînait avec les footballeurs, les populaires. Même à Topéka ces mecs-là représentaient la fine fleur de la cool attitude. Ils étaient tous plus bourrés de testostérones les uns que les autres, n'étaient généralement doués que dans une seule matière : le sport, et n'avaient souvent aucune conversation. Savannah aimait ces soit-disant modèles masculins parce qu'elle savait qu'elle n'en tomberait jamais amoureuse. Et pas une fois, elle ne s'était trompée. Les jeunes footballeurs en herbe qu'elle avait fréquentés n'étaient jamais parvenus à toucher son cœur. En fait, ils n'avaient même jamais réussi à le frôler ou ne serait-ce qu'à s'en approcher ! Savannah était consciente que cela pouvait paraître stupide. Mais dans son esprit, elle ne méritait pas d'être véritablement heureuse. Elle n'était que Savannah Lewis-Butler. Elle n'avait pas un grand cœur comme Ornella, des mimiques à mourir de rire comme Amélysia ou bien de tendresse à provoquer par sa seule existence comme Kiara ou Lana. C'était ainsi : Savannah s'était toujours sentie trop petite et carrée dans un monde qui était rond. Elle s'était donc créée une image qui n'avait pas grand chose à voir avec son véritable moi. La jolie jeune femme avait, très jeune, amplifié son penchant pour la fête et les histoires sans lendemain. Elle s'était embarquée dans un monde de strass et de paillettes. Le lycée à peine terminé, elle était partie sans se retourner. Elle avait quitté Topéka et avait suivi des amis à New York. Rapidement, ils s'étaient lassés d'elle. Chacun était bien trop occupé à commencer sa nouvelle vie. Mais pas elle. Elle s'était retrouvée bien vite seule dans une grande ville. Trop grande. Bientôt, elle s'était de nouveau sentie petite et fragile. Une sensation qui lui rappelait le goût amer de vivre dans l'ombre si parfaite de ses frères et sœurs. Alors elle avait fait ce qu'elle savait faire de mieux. Prétendre être quelqu'un d'autre. Savannah était devenue styliste et à force de détermination et de travail, elle était parvenue à se faire un nom. Ce qui n'était pas une chose aisée à faire quand on travaillait à New York ! Elle avait voyagé et s'était faite de nombreux amis. Pourtant, ses habitudes n'avaient pas changé. Elle était toujours la Naughty Lewis du lycée de Topéka. Soit-disant libérée... mais solidement enchaînée à ses complexes.

"Ce mec ne sait pas ce qu'il manque ?" Il avait l'air hésitant. Ce n'était pas tant qu'il ne pensait pas ce qu'il disait... c'était surtout que cette phrase ne semblait pas naturelle dans sa bouche. Comme s'il n'avait pas l'habitude de faire des compliments à une jolie inconnue. Savannah avait visé juste : Adam était véritablement de la race en voie d'extinction qu'étaient les gentlemen.

La jeune femme continuait son numéro de charme, apparemment confiante sur ses chances de réussir. Peu après, elle ajouta qu'il avait de très beaux yeux avant de faussement s'excuser d'une telle spontanéité. La réaction du jeune homme ne se fit pas attendre puisqu'il se mit à rire. "Ou un truc du genre, ouais." lui avait-il répondu. Savannah l'interrogea du regard. S'il n'était pas pompier, il devait avoir un métier qui y ressemblait. La jolie jeune femme sourit de nouveau, espérant avoir une réponse. "Non pas du tout, vétérinaire, en fait." Savannah tiqua. Elle fit la moue et se redressa quelque peu. Finalement, elle n'était pas suffisamment saoul pour affronter le jeune homme... Le jeune homme exerçait un métier du corps médical : il était vétérinaire. Ce qui se rapprochait plus de la Cardiologue qu'elle avait rêvée de devenir que de la Styliste qu'elle était devenue par défaut. "Vous abordez toujours les gens comme ça ? C'est impressionnant. J'aimerais bien avoir une telle assurance."

Elle n'avait pas toujours été comme ça. Du moins, parfois, elle ne l'était pas. "Oh hum. J'ai pas proposer. Vous voulez boire quelque chose ?" Bonne idée!

Savannah fit alors signe au serveur de venir prendre leur commande.

Et d'un trait, elle termina celle qu'elle avait trimbalée du bar jusqu'aux toilettes et des toilettes jusqu'à sa table pour la tendre au serveur avant qu'il ne retourne en direction du bar, leur commande en tête.

Elle se surprenait à s'intéresser vraiment à la potentielle réponse qu'il allait lui donner. Ce n'était pas bon signe. Il lui fallait une autre boisson, et vite. La jeune femme jeta un regard discret mais désespérée en direction du bar. Elle n'était pas consciente des doutes qu'avait Adam à propos des intentions de son collègue, mais ils jouaient très certainement en sa faveur !

Adam avait remarqué le regard que la jeune femme avait adressé au barman alors qu'il préparait leur commande. Il était tout naturel de penser que Savannah s'ennuyait. Après tout, on ne cherchait pas une échappatoire à une conversation passionnante ! Mais la réalité était toute autre. Savannah ne cherchait pas à s'enfuir parce qu'Adam était ennuyeux à mourir. Bien au contraire. Elle cherchait à s'échapper parce qu'il semblait justement intéressant. De plus, il venait de lui annoncer qu'il était vétérinaire. Une profession qui rappelait à la jeune qu'elle avait laissé ses rêves s'échapper, eux aussi. Malgré tout, Savannah avait reporté son attention sur Adam. Et pour une fois, la question qu'elle lui posait n'était pas intéressée. Elle était sincère. Et elle mourrait d'envie de connaître la réponse. Pourtant, elle était belle et bien consciente que plus ils s'enfonceraient dans ce sujet épineux, plus elle risquait de perdre pied. Mais c'était plus fort qu'elle. L'alcool présent dans son sang devait, lui aussi, contribuer à ce changement de comportement. "C'est passionnant, oui. C'est comme si toute ma vie avait été destinée a ça, que c'était écrit quelque part. Les animaux sont vraiment ce qu'il y a de plus intéressant. Ils sont sincères, ne mentent pas, loyaux, respectueux." Soudainement, la jeune femme eut l'impression de combattre l’apesanteur. Elle se sentait aspirée dans le regard d'Adam. Dans sa tête résonnaient encore les mots qu'il venait de prononcer. Cela se produisait pour une seule et unique raison : Adam était véritablement passionné par son métier. Savannah avait l'impression de pouvoir sentir son amour des animaux l'envelopper toute entière, l'emprisonnant ainsi dans un cocon de coton. La jeune femme ne réalisa pas, mais elle était restée parfaitement silencieuse tandis qu'Adam terminait son ode aux animaux en taclant les humains : "Un tas de qualités admirables qu'on ne trouve malheureusement plus chez l'Homme.". Une fois encore, la jeune femme demeura immobile. Elle se sentait encore touchée par la passion d'Adam. Mais c'était différent... Adam venait de confirmer une vérité qui n'était pas belle à voir. Une vérité que Savannah s'était évertuée depuis l'adolescence à perpétuer. Tous ces défauts, elle avait fait en sorte de les posséder. Le beau blond se mit à ricaner. Savannah lui jeta un regard apeuré. Mais lorsqu'elle réalisa qu'il ne se moquait pas d'elle, elle se ravisa et le transforma aussitôt en un regard charmeur. Il ne la connaissait pas après tout... Comment aurait-il pu deviner que mentir et prétendre être quelqu'un qu'elle n'avait jamais pensé devenir un jour était son lot quotidien ? Il ne savait rien de son mal-être profond. Non. Il ne se moquait pas. Elle se montrait simplement paranoïaque. Comme bien souvent... Adam passa une main sur sa propre nuque. Il est gêné... Savannah se retint tout juste de pousser un soupir de soulagement. Sa réaction était stupide, elle en avait conscience. Et c'était peut-être ça le pire ! "Enfin on va peut-être pas partir sur une discussion pleine de philosophie ou je sens que je vais vous achever. Et vous ? A part être un pilier de bar, vous passez le reste de la journée a faire quoi ? J'vous verrais bien .. journaliste. Dans une chronique du genre spécial fille, qui raconterait vos soirées et compagnie." Cette fois, ce fut au tour de Savannah de pousser un petit rire. C'était de bonne guerre : elle avait émit des préjugés en le qualifiant de pompier sexy, et il faisait de même en la catégorisant dans un domaine typique. Sauf que lui non plus, il ne s'était pas vraiment éloigné de la réalité. Pour toute réponse, Savannah se pencha vers lui et lui fit signe qu'elle voulait partager un secret.

Et comme si elle venait de partager un mystère digne de la CIA, la jeune femme se redressa de nouveau, portant son index à ses lèvres tout en émettant un léger : « Shhh! ». Toujours pour sa défense, le verre qu'on venait de poser devant elle sans même qu'elle ne s'en rende compte n'allait certainement pas l'aider ! Adam, définitivement gentleman, paya la consommation comme il la lui avait offerte. Lorsqu'elle comprit qu'il attendait une véritable réponse, Savannah se décida à lui répondre à son tour.

Savannah baissa les yeux. Et sans crier gare elle ajouta :

Les yeux de la jeune femme s'arrondirent. Elle plaqua sa main libre sur ses lèvres, se demandant si cette voix qu'elle venait d'entendre était bien la sienne.

Savannah était une perdante. Elle en était persuadée. C'est pourquoi elle n'avait jamais essayé. Au collège et au lycée, elle n'avait travaillé que le nécessaire pour éviter de redoubler une classe, ce qui selon elle, équivalait à ne pas faire grand chose. Mais lorsqu'elle songeait à travailler davantage pour obtenir l'approbation de ses parents et de ses professeurs, la jeune fille bloquait. Dans son esprit, quelque chose lui répétait sans cesse qu'il ne suffisait pas de rêver pour réussir. Malgré tout, Savannah avait laissé ses rêves et ses espoirs lui glisser d'entre les mains. Elle n'avait jamais fait plus que le nécessaire et s'était retrouvée tout juste diplômée du lycée. Son métier de Styliste, elle le devait à son bon goût, sa connaissance de la mode et du superficiel, ainsi qu'à sa détermination. Mais il était étrange de voir que la jeune femme ne parvenait pas à garder cette force de caractère lorsqu'il s'agissait de quelque chose qui lui tenait véritablement à cœur ! Aujourd'hui, son âge n'allait pas à reculons et il lui semblait que son rêve était bel et bien mort et enterré. C'était bien sûr exagéré quand on savait qu'elle courrait uniquement sur sa vingt-quatrième année. Le revers de la médaille avait fini par se montrer : à trop vouloir paraître sûre d'elle, Savannah avait renvoyé cette image à tout le monde. Ses proches y compris. Maintenant, sa famille, qu'elle voyait lors d’événements impliquant une réunion familiale, pensait qu'elle était un peu tête-brûlée et qu'elle accomplissait son rêve à New York. Elle ne savait pas ce qu'ils pensaient de son métier. Mais malgré tout, Savannah demeurait persuadée que son père, en particulier, n'aurait pas apprécié. Quoi qu'ils puissent dire, et quoi qu'ils puissent faire, Savannah avait l'impression qu'ils se montraient toujours polis et qu'ils cachaient leur déception derrière de vagues sourires. Leur attention ne lui paraissait jamais tenir plus de quelques minutes lorsqu'il s'agissait d'elle. Et au final, Savannah avait toujours honte. Honte d'en vouloir à son frère pour son apparente perfection. Honte d'en vouloir à ses sœurs pour leurs pétillantes existences. Elle avait honte d'être jalouse. Jalouse de leur réussite. De leur bonheur qui, contrairement au sien, n'était pas simulé. Jalouse de leurs sentiments, qui lui paraissaient toujours justifiés.

Savannah se redressa un peu plus. Quelqu'un avait-il eu la mauvaise idée de monter le chauffage d'une dizaine de degrés ? L'été avait peiné à montrer le bout de son nez mais aujourd'hui, il était bel et bien aux portes de New York. Cette température acerbe et étouffante n'était donc pas une bonne idée. Jamais, au grand jamais l'avait-elle avoué à qui que ce soit. Savannah tenta de camoufler sa propre surprise, mais il était trop tard. La jeune femme se dandina sur le siège, cherchant un moyen de s'échapper. Bien sûr, elle avait songé à se mettre à courir. Elle avait eu l'idée de s'enfuir et de partir en voyage d'affaire pour une centaine d'années... tout au plus. Mais sa raison lui intimait l'ordre de rester. Ce n'était pas si grave après tout. Elle n'avait pas un rêve si incompréhensible que cela. Elle ne lui avait pas confié avoir toujours voulu devenir dresseuse d'asticots pour un cirque, n'est-ce pas ? Il était très commun de désirer devenir Cardiologue. Non ? Alors pourquoi se sentait-elle si chaude tout à coup ? Cette montée d'adrénaline lui provoqua un hoquet. Elle avait beau vouloir sourire, son visage demeura figé dans l'effroi. Après toutes ces années... Il avait fallu qu'elle avoue un de ses plus grands secrets à un parfait inconnu. Bien sûr, il risquait de ne pas comprendre. Mais la logique n'avait pas spécialement de place dans le cas présent. Elle était folle... Oui, c'est ça ! Folle ! Complètement jetée de la cafetière ! "Hey..." La voix d'Adam attira son attention. Elle semblait rassurante. Le corps de Savannah se décrispa lentement. "si vous avez une liste bien fournie de clients, c'est que vous faites quelque chose d'important à leurs yeux. Regardez le coté positif des choses, vous aidez à la non destruction de la mode et luttez contre le crime vestimentaire totalement has been." Sans crier gare, Savannah éclata de rire. Elle tenta de s'excuser, mais le fou-rire persista. Bien sûr, elle sentait qu'il disait cela par gentillesse et que son raisonnement – bien que réfléchi – n'était pas étayé d'une once de connaissance sur la mode. Cette blague, qui n'en était peut-être pas une, eut l'effet de la détendre. Savannah se sentit soudainement en confiance. Adam ne lui avait pas ri au nez. Il ne s'était pas écrié qu'elle pouvait toujours rêver, qu'une fille comme elle n'était bonne qu'à coudre deux bouts de tissus ensemble et proclamer son œuvre comme de l'art ! Il était... gentil. Compatissant. Savannah parvint à retrouver son calme. Il l'avait fait rire. La véritable et fragile elle.

Il ne comprendrait peut-être pas la véritable cible de ce remerciement, mais Savannah se sentait déjà plus légère. Cette montée d'adrénaline l'avait quasiment sevré de tout alcool. Et si la médecine s'accorderait à dire qu'il n'en était rien, elle avait au moins eu le mérite de lui remettre les idées en place. "Cardiologue et Styliste, ça n'est quand même pas le même parcours.. qu'est ce qui vous a fait changer de voies ? Non, attendez." Il leva une main pour le laisser continuer. "qu'est ce qui vous empêche de reprendre cette voie ? Si c'est ça qui vous plaît. Vous savez, mon père me disais souvent "trouve un métier qui te plaît, et tu n'auras pas l'impression de travailler". Enfin, j'crois que c'est pas de lui, mais c'est assez vrai. Vous devriez vous donner une chance. Si vous vous invertissez autant que dans vos sorties nocturnes, j'imagine que d'ici quelques années, vous serez diplômée haut la main." C'était sans doute une des plus belles choses qu'on lui avait dites. Savannah le regarda sans répondre. Son regard s'était radoucie. À présent, et même si elle le trouvait toujours à son goût, elle semblait abandonner l'idée de le prendre en chasse toute la soirée. Elle était touchée... Parce qu'elle le sentait sincère.

Au point où ils en étaient, qu'il la vouvoie lui faisait bizarre.

Savannah avait insisté sur le mot "ma" parce qu'aussitôt, dans son esprit s'était imposé le visage de ses deux sœurs cadettes.

La jeune femme sentait, sans savoir pourquoi, qu'elle pouvait lui parler franchement. Peut-être parce qu'il n'était encore qu'un inconnu. Parce qu'elle savait qu'il ne l'avait pas jugé alors qu'il en avait eu l'occasion !

Humaine. La définition de l'humain change en fonction de la personne à laquelle vous vous adressez. Dans le cas de Savannah, le mot humain ne rimait pas nécessairement avec "erreur", "échec", ou "vulnérabilité". Car si l'humain ne pouvait pas être parfait, il pouvait néanmoins s'améliorer. Ou dans son cas, prétendre s'être améliorée. Savannah avait passé tellement de temps à se cacher derrière cette image de fille superficielle qui ne s'intéressait à rien d'autre que la fête et la mode, que parler franchement ce qui la tourmentait à un jeune inconnu lui donnait l'impression d'être comme engourdie. Son cerveau lui jouait peut-être des tours, mais il lui semblait que sa peau lui picotait. Comme si elle s'était réveillée après avoir dormi toute la nuit sur son bras. Sauf que là, ce n'était pas que son bras qui était engourdi mais son corps tout entier. Les mensonges sont des armes à double-tranchant. Lorsque l'on ne prête pas suffisamment attention, on risque de s'y perdre soi-même et de les croire à son tour. Et à force de se montrer paranoïaque, Savannah avait oublié que même si certaines personnes ne pourraient pas l'apprécier comme elle était réellement, d'autres, au contraire, la trouveraient plus intéressante. C'est ce qui semblait se produire avec Adam. Le beau jeune homme s'était montré très gentleman depuis qu'elle l'avait accosté. La jolie jeune femme avait d'abord agit comme à son habitude et avait tenté de le draguer de la manière la plus directe possible. En général, un homme aimait cela... C'était en tout cas l'idée qu'elle s'était faite à force d'être considérée comme un objet sexuel. Et très vite, il lui était venu à l'idée que si les hommes pouvaient la draguer de façon abrupte et sans aucune finesse, elle pouvait en faire autant avec les représentants de la gente masculine. Malheureusement pour elle, ou plutôt heureusement finalement, Savannah était tombé sur un homme bien dans le sens où il ne s'intéressait pas aux histoires d'un soir. Adam aurait pu la rejeter. Lui dire d'aller voir ailleurs. Mais il agit avec grande gentillesse. La conversation s'était progressivement détournée de son but principal – l'avoir dans son lit –, menée avec adresse par Adam. Savannah était alors encore trop saoul pour ne pas se laisser entraînée dans une conversation plus conventionnelle et moins... primitive. Et au fond d'elle, elle l'en remerciait. Beaucoup d'hommes auraient pris l'avantage certain qu'une jeune fille éméchée représentait. Mais pas Adam.

Elle s'était comportée comme une folle-furieuse. Et elle en avait conscience ! Son manque de confiance en elle n'était pas la seule chose pour laquelle elle devait avoir honte. Mais comme la tête du jeune homme pivotait négativement sur son axe, Savannah eut le plaisir de voir qu'il n'était pas de cet avis. "Non je ne te prends pas pour une folle. C'est pas grave, tu m'as permis de faire quelque chose ce soir en quelques sorte." La voix d'Adam la calmait, en quelque sorte. Plus la conversation avançait et plus elle pouvait sentir l'engourdissement s'atténuer. Savannah fit la moue et baissa quelque peu la tête sans le lâcher du regard. "Mais tu sais, pour quelqu'un qui rêve de devenir cardiologue, je trouve que tu n'écoute pas assez ton cœur. Commence par lui, avant de vouloir écouter ceux du monde entier." De nouveau, un large sourire pointa le bout de son nez sur les lèvres de la jeune femme. D'une voix attendrie, Savannah laissa échapper un simple :

D'où pouvait bien lui venir ce genre de phrases ? Adam était décidément quelqu'un de sage et de réfléchi. La portée de ses mots s'était étendue à Savannah qui restait pendu à ses lèvres. Son clin d’œil la fit sourire. Si la jeune femme avait eu une quelconque religion, elle aurait pensé qu'il était un ange descendu du ciel et placé là pour lui faire entendre raison. Mais comme ce n'était pas le cas, Adam n'était rien de plus qu'un type bien que le hasard avait eu la bonne idée de mettre sur le chemin d'une jeune "brebis égarée". "Personne n'es prédestiné a se planter, Savannah. Vraiment, donne toi les moyens de faire ce dont tu rêves. Et si tu te plantes, qu'est ce que ça peut faire. Y parait qu'il vaut mieux avoir des regrets que des remords... Ou des remords que des regrets... fin j'ai jamais su dans quel sens mettre cette phrase." Le rire de Savannah ne tarda pas à joindre le sien. "Mais... t'es pas maître de ton destin. Si c'était le cas, je serai encore dans ma clinique a Denver, j'aurai épousé mon ex, j'aurai aujourd'hui un enfant, ou deux, mon meilleur ami serait encore mon meilleur ami, le ranch de mes parents serait encore intacte.." Savannah fronça des sourcils. Elle n'était visiblement pas la seule à avoir une histoire compliquée. Mais avant qu'elle ne puisse lui demander quoi que ce soit, le beau blond ajouta que son rêve à elle était accessible et que si elle acceptait d'essayer, il lui offrirait un café pour l'aider à dé-saouler. "T'as vu. J'ai réussi. Je te tutoie officiellement." Il venait de lui arracher un nouveau ricanement, une fois de plus.

Après tout, ils ne se connaissaient que depuis quelques minutes.

Se permit-elle d'ajouter d'un air entendu. Elle ne cherchait pas tant à savoir s'il voulait en parler mais plutôt à connaître l'étendu de ses chances. Savannah n'était pas consciente qu'elle était peut-être entrain de jeter du sel sur des plaies qui avaient mis un long moment à cicatriser.

Adam acquiesça. Une femme hantait donc bel et bien son esprit. Mais peut-être pas pour les bonnes raisons. Savannah lui sourit. Que pouvait-il bien s'être passé entre ces deux-là pour qu'ils en viennent à rompre leur serment d'éternité ? Elle ne savait pas ce que c'était. Mais elle pouvait l'imaginer. L'amour n'était peut-être pas fait pour durer finalement... Le regard du jeune homme s'assombrit le temps d'une seconde. Ou deux. Finalement, il décida de s'expliquer. Ex-copine. Noté. avait-elle songé. Il était moins difficile de faire oublier à un homme son ex-petite amie. Une épouse en soi était plus difficile à jeter en dehors de sa mémoire. Le serment. Les liens sacrés qu'un mariage représentait. Cet acte d'amour suprême. Savannah n'y avait jamais songé. Enfin... si. Bien sûr. Comme toutes les filles, elle avait rêvé au prince charmant. Elle avait fantasmé sur son fidèle destrier et son mariage en blanc. Sa belle robe aurait été prolongée d'une magnifique et interminable traîne. Ils se seraient dit oui devant leur famille nombreuse. Se seraient embrassés et auraient eu quatre enfants. Savannah, quant à elle, aurait poursuivi ses études avec brio et serait devenue une cardiologue réputée non seulement pour ses prouesses chirurgicales, mais aussi pour la véritable tiare qu'elle portait toujours dans ses cheveux. Mais les chimères d'une enfance se fanent et périssent bien souvent à l'adolescence. "J'ai pas eu le temps de lui demander sa main... Elle était trop occupée à s'envoyer en l'air avec mon associé, accessoirement meilleur ami..." Naughty Lewis grimaça. Elle s'était peut-être perdue dans les fêtes, l'alcool et le sexe, mais elle avait toujours gardé en mémoire une règle simple : ne jamais coucher avec un homme marié. Elle ne voulait pas être tenue responsable de la déchéance au sein d'un heureux couple. Même si parfois... elle pouvait se montrer des plus manipulatrices. La faute à l'univers, selon elle. Ce monde les voulait compétitifs. Et elle ne faisait qu'utiliser les outils mis à sa disposition. Adam se mit soudainement à rire. Nerveusement sans doute... Il repoussa son verre vide d'une main. Main que Savannah saisit tendrement. Comme pour le rassurer. Lui montrer que ce soir, dans un bar où il n'aurait sans doute jamais mis les pieds d'ordinaire, il n'était pas tout seul. Elle était là pour l'écouter. Peut-être même l'aider à aller de l'avant, comme lui s'était évertué à en faire de même avec elle quelques instants plus tôt. "Je devrais détester le fait qu'il ait volé la vie que j'aurai dû avoir, que cette petite fille qu'elle a aujourd'hui aurait dû être la mienne." La pression de sa main sur celle d'Adam se fit plus forte. Elle compatissait. Vivre avec ce genre de pensés devait être difficile. Se répéter quotidiennement que sa vie avait été volée par un homme en qui on avait placé son entière confiance. Il y avait de quoi perdre foi en l'espèce humaine. " Mais, j'peux pas.., Je ne me suis même pas résigné à retirer sa photo de mon porte-feuille. Plus pour me rappeler qu'on ne peut pas confier son bonheur à quelqu'un d'autre qu'à soi-même, que par refus de lâcher cette histoire ceci-dit..." Savannah sourit. Elle s'apprêta à dire quelque chose quand Adam l'interrompit : "On devrait monter un club de parole toi et moi. On a l'air doué pour ça, hein." Savannah gloussa. Le beau jeune homme interpella un serveur à qui il commanda deux cafés, lui rappelant au passage qu'il lui en devait un. La jeune femme sourit et lâcha la main du jeune homme.

Elle n'était peut-être pas la mieux placée pour parler d'amour à un homme tel que lui. Mais elle connaissait suffisamment les aléas d'une vie de célibataire pour en connaître les pièges. Et même si sa propre rancœur n'était pas comparable à la sienne, elle était vraie. Elle était acide. Et elle la rongeait tous les jours au point qu'elle se soit coupée volontairement du bonheur pour ne pas risquer de goûter à sa contre-partie : la douleur.

Savannah lui sourit, d'un air entendu.

Savannah s'était un peu trop avancée en pensant qu'il était sa place de lui donner des conseils. Adam semblait être un jeune homme de la vieille école. Un garçon charmant, intelligent, respectueux, drôle et attentionné. Et pour dire vrai, il était bon de tomber sur quelqu'un comme lui, une fois de temps en temps. La jeune et jolie jeune femme avait beau cherché, elle ne parvenait pas à se rappeler la dernière fois où, dans un bar, elle s'était assise à la même table qu'un homme sans que celui-ci n'ait d'idées derrière la tête. Et si Adam en avait, il n'en laissait en tout cas rien paraître. Plutôt que de se draguer honteusement, les deux personnes avaient visiblement trouvé en l'autre un confident parfait. Ils ne se connaissaient pas. Ils ne se jugeaient pas. Et surtout : ils étaient capables de donner à leur interlocuteur un avis franc, tranché et extérieur. Le jeune homme s'était attardé sur le manque de confiance en soi évident de Savannah. Évident... mais pas pour tout le monde. Sa famille et ses proches ne s'en étaient jamais rendu compte. Pratiquement. La jeune femme avait tout fait pour qu'il en soit ainsi. Il est déjà difficile de se trouver faible. Mais plus encore, de montrer sa faiblesse aux autres. En particulier à ceux qui sont censés vous aimer. Vous aimer pour vous. Et non pour l'image que vous renvoyez. Portée par le vent de la confidence, Savannah s'était sentie pousser des ailes. Et pour remercier Adam comme il se devait, elle avait tenté de le faire profiter de sa vision personnelle. Le jeune homme avait souffert. Il avait découvert que sa fiancé le trompait avec son meilleur ami. D'un coup, et d'un seul, Adam avait perdu deux êtres chers. Deux personnes de confiance. Elle comprenait parfaitement pourquoi il ne voulait plus confier son bonheur aux autres. En particulier après ce qu'il s'était passé. Mais, la vraie Savannah rêvait toujours au prince charmant. Elle espérait qu'un jour, il viendrait sur son fidèle destrier, et qu'il l'enlèverait. Bien sûr, dans le tableau qu'elle se faisait d'une vie parfaite : la jolie Savannah n'était pas la petite potiche des dessins animés pour enfants. Non, elle était cardiologue et l'égale de son époux. "Hmm, je me posais justement la question. Mais je ne voudrais pas passer du coté obscure, et ne plus être un mec bien." La jeune femme pouffa pour la énième fois de la soirée. Elle n'avait pas à se forcer, comme avec cette multitude d'hommes qu'elle rencontrait pendant les soirées mondaines. Elle ne tentait pas de le séduire d'un rire placé au bon moment. Elle se contentait d'être elle-même. Et bigre ce que ça faisait du bien ! Mais plus la soirée avançait et plus minuit menaçait de tomber, faisant de son carrosse une banale citrouille, et de son lâché-prise, un lointain souvenir. "Tu sais, je crois que tu as raison. Je devrais m'en séparer. […] Mais je maintiens qu'on ne peut confier son bonheur. Qui d'autre que soi-même sait ce qui nous convient le mieux ? À quoi bon laisser quelqu'un modeler notre cœur, si c'est pour en arracher un morceau ? [...]" Adam avait sans doute raison. L'idée ne semblait pas si mauvaise. De ce point de vue, mieux valait-il vivre en ermite, dans un pays reculé, et ne se préoccuper que de ses propres besoins jugés utiles. "T'es jeune, tu te rendras compte que se donner corps et âme a une personne ce n'est qu'une idée romantique et erreur de jeunesse..." Une fois encore, Adam avait sans doute raison. Parfois, on se brûlait les ailes à vouloir voler trop haut. Icare en avait fait lui-même l'expérience. Mais son modèle ne semblait pas avoir l'effet escompté sur la demoiselle. Elle, elle se surprenait à rêver au grand amour... celui qui vous fait tourner la tête et qui vous fait pousser des ailes. Celui pour lequel on ferait tout. Pourtant, elle ne s'estimait pas stupide. Ces nombreuses années passées sous la facette de Naughty Lewis lui avaient permise de comprendre que les hommes ne sont pas tous des princes charmants. Et que les films n'étaient rien de plus que ce qu'ils sont : des fictions.

Puis, sans un mot, la jeune femme observa Adam remettre finalement la photo dans son portefeuille. Savannah baissa les yeux et regarda son café tourbillonner sous l'action de ses doigts. Elle touillait la boisson chaude mécaniquement. Pour s'occuper. Elle n'y avait pas ajouté de sucre. C'est seulement quand la voix d'Adam se fit entendre de nouveau qu'elle releva les yeux. "Tu habites loin d'ici ?" Savannah le regarda, sans comprendre. Elle devait avoir l'air perplexe, puisqu'il tenta de s'expliquer par ce qui ressemblait plus à un grondement qu'à un début de phrase. "… fin, mh. [...] Je n'ai pas envie de passer toute la soirée au bar." À vrai dire, la jeune femme n'était pas sûre de comprendre. Que voulait-il bien dire ? Si un tout autre homme lui avait demandé où elle habitait, elle l'aurait pris comme une invitation à terminer la soirée en privée. Mais parce que c'était Adam, quelque chose lui disait que ce n'était pas le cas. Et au fond, elle n'aurait su que trop quoi répondre. "Si t'as pas de projet, et que tu rentres quand je pars, je peux éventuellement te raccompagner. Je suis pas certain que tu sois en état de rentrer seule. Et si tu refuse je risque de m'inquiéter de ce qu'est devenu cette chouette fille du bar." Savannah ne répondit pas tout de suite. D'abord parce qu'elle trouvait la situation très drôle : le pauvre Adam se tortillait et elle le laissait mariner dans son jus. Méchant ? Non... Elle le trouvait mignon. Et ensuite parce qu'elle n'était pas sûre que sa propre réponse serait celle qu'Adam attendait. Mais il marquait un point : elle n'était pas tout à fait en état de rentrer toute seule.

Répondit-elle finalement, un sourire amusé aux lèvres.

L'instant suivant, Savannah sortait du bar, gagnant les rues du Queens. Bientôt, ils parvinrent à attraper un taxi. La jeune femme déclara son adresse et, d'un air malicieux, déclara à Adam :

Le chauffeur ricana, tentant de se faire discret, puis déboîta en direction de Manhattan.