You ? I don't believe it !

J'étais comme un idiot. Un vrai abruti complètement gaga... Un abruti complètement coincé au bureau.

J'avais eu très peur il y a quelques jours. Absolument fou. Fou d'inquiétude et de rage. Fou d'inquiétude pour ma... partenaire et pour mon bébé. Fou d'inquiétude que ce taré complètement décérébré leur fasse du mal à tous les deux. Fou de rage contre cette ordure notoire que j'avais envie de démolir pour lui apprendre un peu ce que ça faisait de se prendre des coups. Je n'avais pas eu le temps, fort heureusement, de laisser ma rage s'exprimer et les conséquences de ma folie violente avaient vite été annihilées par la nécessité pour Siobhan de m'avoir auprès d'elle alors qu'elle mettait au monde notre petite merveille... Mais depuis, Sio n'était plus au travail. Elle avait passé quelques jours à la maternité, à s'imprégner de son nouveau rôle, à me sourire avec les yeux remplis d'amour que seul un enfant sait vous donner, puis on l'avait autorisé à sortir. J'avais eu un mal fou à la laisser rentrer chez elle, repartir dans cet appartement qui avait accueilli les ravages d'un homme violent et la folie de mon besoin de la protéger. J'avais négocié et gagné qu'elle vienne à la maison. Au moins pour un temps. Nécessairement pour un temps, malheureusement. Mon appartement était totalement indécent pour accueillir deux adultes, une adolescente et un bébé. La cohabitation était scabreuse. Heureuse pour moi, mais scabreuse...

Et en attendant, j'étais seul au travail, servant de freelance pour remplacer les collègues malades, retournant régulièrement à mes premiers amours qu'étaient la photographie, investiguant avec mon appareil pour capter ce que les mots ne Siobhan ne pouvaient plus décrire pour le moment, occupée qu'elle était à pouponner, à prendre soin de notre fils le temps que je rentre pour lui donner un coup de main. Alors, je redescendais régulièrement à mon ancien bureau fétiche, rejoignant les autres photographes, m'amusant à redécouvrir le plaisir d'imprimer sur papier les images dans une chambre noire. Cette odeur m'avait manqué. Bizarrement et au grand damne d'une Siobhan déjà bien trop souvent incommoder par les odeurs et d'une fille trop enceinte à mon goût, je sentais mes premiers amours, l'odeur de mon adolescence. Une odeur qu'aucune des deux n'avait connue sur moi. Trop lié au passé. L'adolescence et le présent se mêlant d'une manière bien trop étrange, tout à fait comme mon état actuel. Récent père. Futur grand-père... Seigneur, je n'avais absolument pas l'âge pour ça...

Dépinglant les photos que je venais de faire sécher de leur fil, je pris le tas de clichés pour sortir de la chambre noire. La lumière vive me brûla les yeux un instant et il me fallut cligner plusieurs fois des paupières pour me réhabituer à la lumière du jour. Fichu habitude de ne jamais allumer une chambre noire, même une fois le travail terminé, songeais-je avec un sourire, fourrant les clichés dans mon sac, avant de me figer. Non... Impossible.

Je devais rêver. Ça ne pouvait pas être possible. Melissa Montgomery ne pouvait pas se trouver là, en face de moi, ici à New York. Ce devait être les effluves des révélateurs qui m'étaient montés à la tête pour me faire imaginer le visage de Mills dans cette jeune femme brune que je ne connaissais pas.

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You ? I don't believe it !

Ça n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être elle. Et pourtant, dès que mon nom franchit la barrière des lèvres de la jeune femme, je sus que c'était bien réel. Cette femme, là devant moi était Mills. Ma Mills... Non, pas ma Mills. Plus ma Mills... Mais c'était quand même elle. Elle dans toute sa splendeur. Les cheveux de blés de mon souvenir avaient laissés place à un noir de jais qui lui allait à merveille et elle semblait en pleine forme, mais elle était si loin de Los Angeles. Si loin de ce qui avait été notre maison, notre vie. « Mills ? », soufflais-je, interrogateur, surpris. « Oh bah... Bah ça alors... »

Je me souvenais d'une multitude de choses. Je me souvenais de nos jeux d'adolescents se tournant autour, de notre amour naissant, de nos baisers à l'image volée par nos appareils photos, des heures passées à jouer de la guitare, à regarder le monde et ses couleurs, à nous étreindre... Je me souvenais de cette vie que nous avions rêvée de fonder ensemble, de cette famille déchue, des pertes qui nous avaient poussé à nous tenir plus fortement l'un à l'autre, avant que le décès de mon frère et son testament ne vienne détruire nos doux rêves. Et nos routes avaient continué, nos chemins se séparant pour ne jamais se retrouver et depuis huit ans, je n'avais jamais eu de nouvelles, jamais su ce qu'elle devenait. Alors la retrouver ici était une surprise on ne peut plus inattendu.

Je lâchais mon sac, surpris, m'approchant d'elle, mon premier réflexe étant de la prendre dans mes bras. Pourtant, je ne le fis pas, me retenant à un pas d'elle, baissant les bras, avant de me gratter l'arrière du crâne, un peu surpris et surtout mal à l'aise, ne sachant trop comment lui dire bonjour après tout ce temps, quand la dernière fois que je l'avais vu, nous venions de rompre et partagions nos affaires en toute équité. « Qu... Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu fais là ? », quémandais-je surpris, trébuchant sur les mots. Je ne comprenais pas. Comment, de toutes les villes, avait-elle pu atterrir ici ? Comment, de tous les gros buildings du quartier, avait-elle pu finir dans celui-ci, à cet étage, le jour précis où j'y venais alors que j'étais monté dans les étages depuis plusieurs années déjà ?

« C'est fou de te revoir ici, mais... mais comment... Comment tu vas ? » Oui, comment allait-elle ? Première bonne question. Excellente même, parce que peu importe qu'elle ne soit plus ma fiancée, elle restait ma Mills, mon premier amour et si je n'avais pas cherché à en savoir plus sur son compte pendant toutes ses années, ayant sans doute eu trop peur de découvrir comment elle avait poursuivi sa vie sans moi, maintenant qu'elle était là, je voulais tout savoir. Allait-elle bien ? Était-elle heureuse ? Avait-elle trouvé quelqu'un qui l'aimait comme elle le méritait ? Je l'espérais. J'espérais sincèrement qu'elle avait trouvé le bonheur que je n'avais plus été capable de lui offrir...

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You ? I don't believe it !

Mills m'expliqua alors qu'elle travaillait ici maintenant, qu'elle avait commencé la semaine précédente et j'en fus des plus surpris. De toutes les villes des Etats-Unis, il avait fallu qu'elle vienne ici. De tous les endroits embauchant des photographes, il avait fallu que ça soit cette boite. Quel coup du sort... Le destin avait une drôle de façon d'engager les choses. Mills, maintenant, dans ma vie, alors que je venais de devenir père, la raison même qui avait fini par causer notre perte malgré ma lutte acharnée pour que cela n'entre pas en ligne de compte dans notre histoire...

Elle me demanda ensuite ce qu'il en était de moi et je me grattais un instant l'arrière de l'oreille. « Oh heu... Et bien ça va faire un peu plus de cinq ans qu'on vit ici. Partir de L.A. Était nécessaire. New York nous a semblé un bon point de départ et le travail a fait que c'est resté un bon point de chute. J'ai passé un an ici avant de passer cameraman. Je suis monté dans les étages depuis quatre ans, depuis que je suis le cameraman attitré d'une des journalistes phare de la chaîne... » J'ignorais un peu ce que j'étais en mesure ou pas de dire tout de suite à Mills. Parce que clairement, Siobhan n'était plus juste « une des journalistes phares » et j'étais clairement plus que juste « le cameraman attitré »...

Je lui demandais alors comment elle allait, surpris par le côté fou de la voir ici pour de vrai. Elle m'assura que ça allait, qu'elle n'avait pas vraiment eu le choix du lieu et plutôt accepté l'opportunité de travailler. Elle me demanda ensuite comme j'allais moi et comment allait Eireen, ce qu'on devenait. Je lui offris un beau sourire. « Ça va. On va bien. Enfin je crois. Nos vies sont un peu chamboulées ces derniers temps… » Père et Grand-père… Chamboulé est un bien faible mot « … mais on va bien. Partir était la meilleure des options pour nous et elle a pu se reconstruire ici. Même si ça n'est pas simple tous les jours, c'est le mieux, je pense. Même si tous les gens que je connaissais à Los Angeles me manquent énormément. » Je souris doucement, repensant à mes amis, à la Mills de ma jeunesse, à ma famille qui n'avait jamais vraiment été le modèle de famille idéale. Je revoyais tout ce passé auquel j'avais tourné le dos en emmenant Eireen à New York et même si tout ça m'avait manqué, même si Mills, plus que toute autre chose, m'avait manqué, je ne pouvais que dire que j'avais fait le bon choix. Et tant pis si j'étais le père d'un enfant dont la mère ne me voyait que comme un collègue. Tant pis si ma fille de 17 ans était enceinte parce qu'elle avait fait l'idiotie de mal se protéger pour avoir des rapports, nous avions une bonne vie. Nous étions tous les deux, heureux, avec assez d'argent pour vivre – enfin jusqu'à présent, car maintenant, il allait falloir revoir ce point – et avions affronté nos démons pour mieux nous en relever. Partir avait été une bonne chose.

Posant à nouveau les yeux sur Mills, après un moment à regarder les yeux dans le vague, perdu dans mes souvenirs, je pris le temps de regarder ses traits, les petits riens qui montraient qu'elle avait pris quelques années, les petites choses qui me rappelaient qu'elle restait comparable à ma Mills à moi. C'était un peu étrange. Comme voir un fantôme des années plus tard. Et c'était déroutant. « Tu m'as manqué aussi. Ça fait plaisir de te revoir. » J'étais un grand maladroit. J'avais toujours été un peu gauche avec elle. C'était ce qu'elle avait aimé au début, mon incapacité à formuler des pensées cohérentes, la façon dont je l'enviais d'être toujours si à l'aise en public, alors qu'elle avouait au monde entier ouvertement qu'elle se contrefichait de ce qu'ils pouvaient penser d'elle. La revoir me faisait retomber dans ce schéma-là, moi le petit Kieran si gauche, si nul comparé à son père et à son frère, si peu à l'aise en public. Moi le Kieran qui avait découvert qui il était vraiment sous le regard passionné de cette femme-là.

Sauf que je ne suis plus exactement ça. Non, je ne l'étais plus. Plus vraiment. J'étais un autre Kieran. Un Kieran toujours passionné, mais avec des responsabilités. Un Kieran s'assumant entièrement et assumant sans remords d'être le père de sa nièce adoptée et de son propre enfant nouveau né. J'étais un Kieran qui pouvait gérer la tenue d'une maison, les courses et/ou la cuisine, les devoirs et le travail, tout en même temps et avec application. J'étais un père. Tout ce que Mills n'avait jamais pu assumer.

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You ? I don't believe it !

C'était étrange et déstabilisant de parler avec Mills de ma joie dans ma nouvelle vie. Comment lui dire que j'étais heureux, mais que « nous » me manquait toujours ? Mills n'avait pas été que ma petite amie, ma fiancée, la femme avec qui je voulais faire ma vie. Elle avait été mon amie, ma meilleure amie, avant que les choses ne dérapent, que les baisers ne deviennent légions et que nous soyons un « nous » de couple. Alors oui, elle me manquait. Elle m'avait toujours manqué et c'était étrange et déstabilisant de dire à voix haute devant elle que j'avais évolué dans un monde où elle n'était pas et où j'avais su trouver une certaine forme de bonheur.

Pourtant, je ne pouvais pas mentir. Je ne pouvais pas dire que je n'étais pas heureux, ça n'aurait pas été juste pour Eireen, pour Siobhan et pour Liam. Parce que j'aimais ma vie. Elle était folle et bizarre et pas vraiment traditionnelle, mais j'avais une fille adoptive que j'aimais comme mon sang, une collègue merveilleuse qui m'avait fait la joie de me donner un fils comme je n'aurais jamais cru possible d'en avoir et même si j'avais eu trop d'émotions d'un coup, même si le cas « Eireen » était frustrant et déstabilisant, j'étais heureux. Même si ma meilleure amie m'avait manqué toutes ses années et que les choses auraient probablement pris une toute autre tournure que j'aurais été heureux de prendre si notre séparation n'avait pas été effective. J'aurais su aimer cette vie à nous deux, nous trois, si Mills avait été capable de supporter la vu d'Eireen, mais elle n'avait pas pu et je n'avais pu que comprendre et vivre avec... ou plutôt continuer de vivre sans elle. J'y avais trouvé un autre bonheur, sans pour autant renier que j'aurais pu être tout à fait heureux autrement...

Je ne pouvais qu'espérer qu'elle ait, elle aussi, retrouvé le bonheur, sans moi...

Désireuse de changer de sujet, Mills se tourna vers la porte que je venais de passer, me demandant avec un léger amusement si je retournais à mes premiers amours. Je hochais la tête alors qu'elle demandait si elle pouvait y aller, n'étant pas rentré dans une chambre noire depuis ''une éternité''. « Tu sais, je n'ai jamais vraiment abandonné cette passion-là », soufflais-je en ouvrant la porte pour la laisser passer. « La plupart des photographes ici travaillent avec du numérique. J'ai dû m'y plier quand je travaillais dans ce service, mais j'ai continué avec l'argentique autant que possible. Je viens toujours régulièrement développer mes photos ici... Et en ce moment, je rends service. Ma collègue est en congé alors je suis un peu sans personne à filmer », dis-je avec un sourire, ne prêtant pas vraiment attention au fait que la porte se refermait derrière moi alors que j'allumais la lumière. « Ils ont dû te le dire, les rédacteurs préfèrent des planches informatiques aux bonnes vieilles planches carton et papier. Néanmoins, les directeurs aiment qu'on archive les photos vraiment importantes sous format papier, alors quand la photographie risque de valoir le coup au niveau historique, ils mettent tout le matériel à disposition. Le jour où tu en as besoin, les pellicules sont là... », dis-je en lui montrant le tiroir sous les bacs de révélateurs.

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