Derrière le volant de sa voiture garée devant le bar qu’il a l’habitude de côtoyer, Eggsy se pose à présent des milliers de questions. Il est très perturbé depuis la nuit qu’il a passé en compagnie de Rory, il était tellement distrait qu’après avoir reçu de nombreuses remarques de ses collègues sur son inattention constante, il s’est même demandé s’il devait chercher à le revoir ou pas car au plus profond de lui, il a l’intuition que ce petit bout d’homme va totalement chambouler sa vie. Il n’arrive pas à s’enlever de la tête la manière dont il a réussi à le calmer du cauchemar qu’il était en train de faire. En temps normal, il se serait mis à hurler, mais sentir les lèvres du jeune homme sur sa peau l’a tiré doucement de son cauchemar pour le rassurer. C’est l’une des raisons qui l’ont poussé à s’en aller comme un voleur, il avait peur de croiser de nouveau le regard si hypnotisant de Rory et de ne jamais le laisser repartir. Le jeune homme ne s’en doute pas une seule seconde mais aux yeux du bouclé, il est une perle rare, c’est la seule personne sur cette foutue planète à avoir réussi l’impossible avec lui et quelque part, ça terrifie Eggsy qui ne sait pas vraiment comment réagir.
Sa présence ici prouve qu’il a complétement changé d’avis, il ne supporte pas l’idée de rester sans nouvelle de Rory, c’est étrange de voir à quel point il ressent le besoin de le protéger, de savoir qu’il va bien et qu’il n’est pas en danger. S’il le pouvait, il paierait quelqu’un pour le surveiller H24 mais même lui trouve ça glauque. Cependant, maintenant qu’il est devant le bar, il se trouve figé par cette angoisse indescriptible qui l’empêche de sortir de son véhicule. Après avoir retrouvé l’argent toujours posé sur son lit, il s’est posé tellement de questions qu’il en est presque devenu fou. Pourquoi Rory ne l’a pas pris ? Il était pire qu’une fille à se demander si ce n’était pas un message, si ça voulait dire qu’il ne voulait plus le revoir. Ça l’a même empêché de dormir la nuit suivante, il a beau tout tenter, il tournait encore et encore dans son lit, à se demander s’il n’avait pas commis une erreur en voulant le payer.

Son regard est soudainement attiré par de l’animation et il ne peut s’empêcher de retenir sa respiration le temps de quelques secondes en voyant Rory en compagnie d’un homme, certainement un client. Aussitôt, sa jalousie gronde dans tout son être et il lui faut énormément de sang-froid pour ne pas sortir de la voiture et le kidnappé sur place. Il se doutait bien qu’il n’était pas le seul client de Rory mais ça fait étrange de le voir en compagnie d’un autre. Par « respect » pour Rory, sachant que c’est malheureusement ce qui le fait vivre pour le moment, Eggsy reste bien sagement dans sa voiture. Cependant, il ne peut réprimer le besoin de les suivre, alors quand Rory est installé dans la voiture du client et que ce dernier se met en route, le bouclé le suit aussitôt, tentant de se faire le plus discret possible dans sa voiture de sport.
Forcément, le client choisi une rue bien glauque pour faire sa petite affaire, Eggsy sent la colère monter en lui car il sait parfaitement ce qui va se passer dans les minutes à venir et il n’a clairement pas envie que ça arrive. Il fallait forcément que ça tombe sur lui, il vivrait certainement plus sereinement s’il ne devait pas s’inquiéter pour Rory de la sorte. Les choses semblent animées dans la voiture du client mais il faut qu’Eggsy plisse légèrement les yeux pour se rendre compte que ce n’est pas une agitation « normale ». Il ne lui en faut pas plus pour qu’il sorte de sa voiture en trombe, se dirigeant à grand pas vers la voiture du client. Il se met à hurler quand il se rend compte que le client vient de donner une énorme gifle à Rory. Eggsy ne sait pas si ce dernier est sonné ou quoi mais il ne semble pas réagir quand le client lui appuie brusquement sur la tête pour l’obliger à baisser son visage. C’est les dents serrées qu’Eggsy ouvre la portière avant d’attraper l’homme par ses vêtements pour le sortir brutalement de la voiture. « -Espèce d’enflure, le touche pas ! » Le froc sur les genoux, le client est totalement surpris et ne réagit pas vraiment au début. Il commence d’abord par se rhabiller tandis qu’Eggsy fait le tour de la voiture pour aller ouvrir la portière à Rory. Son cœur se serre lorsqu’il voit la belle marque rouge sur la joue du châtain mais il tente de garder son calme en prenant une grande respiration avant de tendre sa main vers Rory. « -Viens avec moi, je t’emmène loin d’ici. » Il aide le jeune homme à sortir de la voiture, ne lui laissant de toute façon aucune chance de protester mais c’est sans compter sur le client qui revient à la charge en lui assénant un coup de poing en plein dans la mâchoire. Il recule de quelques pas, secoue la tête légèrement sonné mais ne perd pas une minute quand il voit cet homme répugnant attraper Rory par le poignet. Il se lance sur lui, le frappant à son tour avant de le faire tomber au sol et d’attraper la main de Rory pour l’attirer derrière lui jusqu’à sa voiture. « -Tais-toi et monte ! » Le ton est un peu froid mais Eggsy ne veut absolument pas perdre de temps. Une fois Rory installé à côté de lui, il démarre en trombe et quitte la ruelle sombre non sans lancer un magnifique doigt d’honneur au client.

Quand l’adrénaline redescend un peu, Eggsy tourne rapidement son regard vers Rory. « -Est-ce que ça va ? Tu as mal quelque part ? » Il passe rapidement ses doigts sur la joue du jeune homme, elle est un peu gonflée mais à première vue rien de bien grave. « -Nom de dieu Rory, pourquoi tu l’as laissé faire ? Est-ce que ça se passe toujours comme ça ? » Le bouclé est en colère, pas vraiment après Rory mais il n’arrive pas à modérer sa voix, il a tellement eu peur qu’il ne contrôle plus vraiment grand-chose. Dès qu’il le peut, il se gare, éteignant le moteur, plongeant l’habitacle de la voiture dans un silence pensant. « -Tu as besoin de glace pour ta joue, il doit bien y avoir moyen de trouver ça dans le coin. » Et Eggsy glisse son retour sur les alentours, cherchant par le plus pur des hasards un café ou un bar, endroit où il serait certain de trouver de la glace.

Ses collègues ne le reconnaissent plus depuis quelques jours, depuis la nuit qu'il a passée avec Eggsy à vrai dire. Leurs questions ne font d'ailleurs que remuer le couteau dans la plaie. D'autant qu'il s'en est pris plein la figure par le patron le lendemain, étant revenu sans argent. Mais Rory n'avait pas pu se résoudre à le prendre, ils n'avaient rien fait ensemble au final et cet argent, posé là sur l'oreiller, sans présence du bouclé, l'avait profondément blessé. Il aurait pu le prendre, donner sa part à son boss et garder le reste sans rien dire à ce dernier sur le montant qui lui avait été donné, mais ça ne ressemble juste tout simplement au jeune homme, bien trop honnête pour mentir ou cacher la vérité. D'ailleurs, il a expliqué pourquoi il était revenu sans l'argent, sans entrer dans les détails de la soirée, non ça, il l'a gardé pour lui, pour une fois qu'il a pu vivre quelque chose de bien, hors de question de partager ça avec qui que ce soit, car malgré le réveil douloureux et la réalité qui lui est revenue comme un boomerang en pleine poire, la soirée en elle-même était parfaite. Non, il a juste dit que finalement il n'y avait rien eu et que ce n'était pas normal de faire payer un client pour rien. Évidemment, le patron n'a rien voulu entendre et lui a hurlé dessus. Étrangement, ça aurait dû mettre le châtain dans tous ses états, mais tout ce que son boss pouvait lui dire, lui passait au-dessus, il était déjà au plus bas. Depuis cette nuit-là, Rory est en demi-teinte, il n'a plus constamment ce sourire que tout le monde lui connait, même dans les coups durs. Il n'est plus que l'ombre de lui-même, agissant comme un robot. Il en a voulu au bouclé de l'avoir fait se sentir si bien, si humain, de l'avoir fait croire l'espace d'une soirée qu'il pouvait être important aux yeux de quelqu'un, pour au final, le laisser avec un simple mot, une liasse de billets, comme l'objet qu'il est. Ah quelles étaient belles ses paroles, et Rory avait envie d'y croire. Ouais ben sa promesse, il peut se la penser. Pourtant, le châtain tous les soirs depuis ce jour-là, regarde désespérément l'entrée du bar, espérant y voir la chevelure brune et bouclée d'Eggsy la franchir. Chaque soir est une nouvelle déception et l'enfonce encore un peu plus dans ses pensées négatives de lui-même.

Ce soir est identique aux autres, il a même demandé à travailler alors qu'il aurait dû être en repos, juste pour ne pas avoir à rester seul dans son petit appartement miteux, il a besoin de voir du monde, peu importe le monde que c'est. Il se fiche de tout. Puis alors qu'il est en train de débarrasser une table, un client qui vient de rentrer, et pour lequel il a évidemment levé le visage, juste pour voir si ce n'était éventuellement pas Eggsy, passe derrière lui et lui touche les fesses, le faisant se redresser instinctivement. Il a beau avoir l'habitude, il a beau vendre son corps pour survivre, il ne supporte pas les mains aux fesses comme ça dans le bar. Comme la chance semble l'avoir abandonnée, l'homme en question le réclame. « Bien, j'arrive. » Dit-il d'un ton très monocorde, montrant clairement l'absence d'enthousiasme. Enthousiaste, il ne l'est jamais, hormis quand c'était le bouclé, mais il avait appris à au moins faire semblant, à cacher le dégoût, mais là, il n'a même plus l'envie d'essayer de faire semblant. Il se contente d'aller déposer son plateau derrière le comptoir, de prévenir son patron qu'il a un client, d'enlever son badge et de rejoindre près de l'entrée de l'établissement. Il le suit par automatisme, il est comme absent. Son corps bouge, fait ce qu'on attend de lui, mais son esprit lui n'est pas ailleurs, non, il est juste éteint. L'homme ne dit rien sur le lieu où il l'emmène, mais au vu des phrases bien salaces qu'il lui dit, il sait d'avance que ce sera dans une petite ruelle bien glauque, comme souvent avec ce genre de mec, et que ce sera juste un mauvais moment à passer. D'ailleurs, il n'y a pas besoin d'attendre très longtemps après que la voiture se soit arrêtée pour que les hostilités commencent. N'allant pas assez vite au goût du client, il se fait un peu secouer, puis quelques secondes plus tard, il se prend une gifle d'une force à laquelle il ne s'attendait pas. Mais le jeune homme ne bronche pas, même si ses yeux s'humidifient légèrement. Il ne craque cependant pas, il sait qu'il ne le doit pas, qu'il n'en pas le droit, tellement il a l'habitude de ce genre de comportement, il sait que ça ne ferait qu'empirer son cas. Il ne bronche d'ailleurs pas non plus quand l'homme lui attrape les cheveux juste après pour le forcer à se pencher sur son intimité. La portière qui s'ouvre brutalement, son client qui se fait éjecter du véhicule, et cette voix... Rory est trop surpris, pour comprendre que c'est Eggsy, mais son coeur lui l'a reconnu, il bat déjà plus vite dans sa poitrine. Il ne prend réellement conscience de ce qu'il se passe, que lorsque la portière de son côté s'ouvre aussi et qu'il croise les iris verts du bouclé.

Le châtain se laisse sortir de la voiture comme une poupée de chiffon, abasourdi par ce qu'il se passe quand son client frappe son sauveur, il ne réagit même pas, il n'arrive pas penser par lui-même, il ne pense plus par lui-même ou presque depuis des jours. Ce n'est qu'en arrivant à la voiture du bouclé, la portière ouverte pour lui devant lui, qu'il arrive enfin à articuler quelque chose. « Qu qu'est-ce que tu fais là ? » Le ton froid et autoritaire de Eggsy lui font froid dans le dos et il s'exécute, comme il en l'habitude, tête baissée et joues empourprées. Rory n'a probablement jamais eu aussi honte de sa vie, même à l'hôpital dans un état bien pire que cela, face à Kalyani, à devoir tout lui raconter. Là, il vient d'être pris sur le fait, avec un client et malmené par-dessus le marché, par la seule personne pour qui il ressent quelque chose. Même si on ne peut pas parler d'amour, à voir, regarder, observer le bouclé pendant un an, à fantasmer sur lui, sur cette soirée qui a fini par arriver, même si elle ne s'est pas finie comme lui l'aurait voulu, même s'il lui en a voulu, oui, Rory s'est en quelque sorte attaché à Eggsy. Il était un point de repère dans sa routine monotone, c'est aussi pour ça, que ces derniers jours et l'absence du bouclé au bar l'ont miné comme il n'aurait pas pensé cela possible. « Où... où tu m'emmènes ? » Ce n'est pas qu'il a peur ou qu'il ne lui fait pas confiance, c'est juste que le ton froid d'Eggsy, la façon dont il a disparu l'autre jour au matin, il ne sait pas à quoi s'attendre et dans l'immédiat, avec ce qu'il vient de se passer, Rory n'a pas envie de surprise. Il est au bord des larmes, à deux doigts de craquer, il ne sait même pas pourquoi, mais il se retient, serrant ses poings sur le tissu de son jean. « Tu m'as suivi ? » Question plus ou moins rhétorique, il se doute bien que Eggsy ne se trouvait pas dans cette ruelle par pur hasard à ce moment-là. Les coïncidences, il n'y croit pas. « Pourquoi ? » Pour la première fois depuis que le jeune homme l'a sorti de ce mauvais pas, le châtain trouve la force et surtout le courage de tourner le visage dans la direction du bouclé et de le regarder fixement, peut-être parce que comme il conduit, il ne pourra pas en faire de même. En tout cas, son pourquoi sous-entend plusieurs questions à la fois. Pourquoi l'avoir suivi bien sûr, pourquoi ne pas être revenu au bar, mais aussi, et surtout, pourquoi être parti l'autre matin, ne lui laissant que ce mot et cet argent sur l'oreiller. Il n'a pas besoin de les formuler clairement, l'insistance qu'il met dans son regard devrait largement suffire pour que Eggsy les comprenne. Il ne se l'explique pas, mais il sait qu'il n'a pas besoin d'en dire plus pour que le bouclé sache que ce simple mot en vaut beaucoup d'autres.

Légèrement étourdi par l’adrénaline, Eggsy ne sait plus vraiment quoi faire, ni même quoi dire. Il voit bien que Rory ne comprend rien de la situation mais pour être honnête, le bouclé ne saurait même pas l’expliquer. Comment lui faire comprendre qu’il est attaché à lui alors qu’ils n’ont passé qu’une nuit ensemble et qu’ils n’ont pas fait grand-chose sans passer pour un gros psychopathe sur le point de le découper en morceau. Quand ça concerne Rory, il y a très peu de chance que les pensées du jeune homme soient cohérentes de toute façon, alors comment faire pour les expliquer au châtain ? Même si à présent ils sont tous les deux à l’abri, Eggsy est en train de paniquer totalement, complétement perdu dans cette situation qu’il est bien loin de contrôler contrairement à la nuit passée avec Rory. Les mains serrant fortement le volant, le regard fixé droit devant lui, le bouclé écoute Rory lui poser des questions les unes après les autres, l’enfonçant un peu plus dans sa panique. Mais le pire, c’est certainement lorsqu’il entend Rory lui demander pourquoi, Eggsy tourne son regard vers Rory, les yeux légèrement écarquillés, comprenant parfaitement ce qu’il est train de demander réellement. Laissant échapper un long soupir, il vient se caler de nouveau contre le dossier de son siège à la recherche de la meilleure explication, ne se voyant vraiment pas lui déballer son passé pour essayer de lui faire comprendre qui il est et à quel point cette situation est compliquée à gérer pour lui. « -Je ne sais pas quoi te dire Rory, tout est vraiment compliqué tu sais. » Il ne veut pas le blesser, il a l’impression qu’à tout moment il va voir la tristesse dans les yeux bleus du jeune homme et ça lui briserait le cœur d’être la source de sa tristesse.

Pourtant il sait que ce n’est pas suffisant, il devine aussitôt que Rory ne va pas se contenter de si peu, il le sent à la manière dont il le regarde. Alors il s’éclaircie la gorge, toujours incapable de trouver la bonne explication sans l’impliquer plus que nécessaire. « -Je ne… je ne supporte pas l’idée que tu puisses être avec d’autre client, encore moins s’ils sont violents comme l’autre pourriture de tout à l’heure. Je ne sais pas l’expliquer Rory, c’est comme ça, je préférerais que tu passes chaque minute de ton travail en ma compagnie qu’en celle de ces gros pervers. » Eggsy réalise qu’il ne doit pas paraitre cohérent car il a lui-même utilisé le métier de Rory pour passer du temps en sa compagnie, il espère seulement que le châtain sera capable de faire la différence entre lui et sa clientèle habituelle. La nuit qu’ils ont passé, elle est tout simplement magique aux yeux d’Eggsy qui ne comprend pas pourquoi avec Rory ça se passe si bien mais qui trouve ça carrément agréable. « -Il faut que tu comprennes que je suis loin d’être fait pour le romantisme, je ne voulais pas que te donner l’occasion de t’attacher à moi car je suis un… » Eggsy s’arrête à temps, ravalant le mot « déchet » avant de reprendre, légèrement perturbé. « -Peu importe. Je veux que tu prennes l’argent que je te dois et que tu cherches un job ailleurs que dans ce bar miteux. Je peux t’aider si tu veux, il y a des postes à pourvoir à l’hôtel, ce n’est pas l’extase mais ça ne peut pas être pire qu’actuellement. »

Le bouclé se passe les mains sur le visage, si seulement il pouvait tout arranger en un coup de baguette. Ses problèmes, ceux de Rory, il serait l’homme le plus heureux du monde de pouvoir s’en débarrasser une bonne fois pour toute. Il aimerait pouvoir dire à Rory qu’il sera auprès de lui à chaque pas pour l’aider à s’en sortir mais il sait qu’il ne peut pas promettre une telle chose, lui-même est bien trop instable. « -Tu dois comprendre que ce que tu vis, c’est pas normal, tu es un être humain, quel que soit ce que les autres disent et quel que soit ce que tu penses. Ce que tu vis n’est pas une obligation, tu peux t’en sortir autrement. » Finalement, Eggsy se rend compte qu’il a concentré la conversation sur le métier de Rory, peut-être pour échapper aux questions plus personnes que ce dernier doit se poser. « -Dis oui ! Je n’ai qu’un coup de fil à passer et je peux arranger les choses. » Le bouclé esquisse un petit sourire, toujours pas franchement à l’aise.

Encore sous le coup de l'émotion, autant par la peur de ce qui était sur le point de se produire une nouvelle fois que de l'intervention presque inespérée et en même temps redoutée d'Eggsy, le châtain n'a même pas conscience qu'il a complètement omis de répondre à plusieurs questions que le bouclé lui a posées. Omission involontaire ? Il n'en est pas certain, là tout de suite il ne sait plus rien. Mais il y a bien deux questions qui sont dérangeantes, humiliantes, enfin même si Eggsy ne les pensait pas dans ce sens, pour Rory, c'est loin d'être facile d'en parler, alors les occulter, même inconsciemment, c'est probablement une manière de se protéger de quelque chose qui l'effraie. Alors il pose lui d'autres questions, il a besoin de comprendre, pourquoi Eggsy est parti avant qu'il ne se lève, pourquoi il n'est pas repassé depuis au bar et pourquoi il est là, maintenant. Et la réponse du jeune homme ne lui convient pas du tout. Il croise les bras tout en le regardant, lui montrant bien qu'il ne va pas se contenter de ça. Ce n’est même pas une vraie réponse. Répondre c'est compliqué, c'est la solution de facilité. Mais en même temps, est-ce qu'il peut blâmer Eggsy de ne pas réellement lui répondre, alors que lui-même vient d'esquiver ses questions ? Non, il ne peut pas, alors finalement, il décroise les bras et n'ajoute rien, ne cherche pas à pousser le bouclé à lui en dire plus. S'il n'en a pas envie, il n'a pas le droit de le forcer à quoi que ce soit.

Mais contre toute attente, Eggsy finalement répond vraiment et laisse Rory par la même occasion bouche bée devant ce qu'il entend. « Alors, pourquoi être parti l'autre fois, pourquoi ne pas être revenu au bar ? » Ca le touche ce que le bouclé lui dit, sincèrement, c'est la première fois qu'une personne s'intéresse et surtout s'inquiète autant pour lui, mais c'est plus fort que lui, cette question le hante depuis ce matin-là et encore plus après la confession du jeune homme. Le barman écoute attentivement la suite, tout en le fixant, il n'arrive tout simplement pas à détourner ses yeux du visage si parfait d'Eggsy. D'ailleurs, Rory a grand mal à croire à l'affirmation du bouclé, vu la soirée qu'ils ont passée. Comment peut-il affirmer qu'il n'est pas quelqu'un de romantique ? D'accord, ce n'était pas un rendez-vous à proprement parlé, et pourtant tout dans cette soirée avait un air de romantisme quand même. Ce n'est pas qu'il s'y connaisse vraiment en romantisme, hormis ce qu'il peut lire dans ses nombreux romans, mais en tout cas, c'est à peu près l'idée qu'il en a. Pas le temps de le lui faire remarquer, la fin de sa phrase fait s'empourprer plus encore les joues du châtain, qui se mord frénétiquement la lèvre et détourne son regard du bouclé. « Trop tard pour ça... » Rory lâche sa phrase dans un murmure, pas certain qu'Eggsy ait pu entendre, ce qui n'est fond peut-être pas plus mal, même si une part de lui, espère que le bouclé aura entendu. Parce que oui, d'une certaine manière il s'est déjà profondément attaché à lui, sans le vouloir, sans même le remarquer, et ce, même bien avant leur soirée. Le châtain s'est tellement focalisé sur cette partie de la phrase que sur le moment, il ne percute pas la toute fin de la phrase d'Eggsy, laissée en suspens.

Les larmes montent aux yeux de Rory, ce ne sont pas des larmes de tristesse, juste l'émotion, trop forte pour lui, en entendant le bouclé lui dire de prendre tout de même l'argent qu'il lui doit, de chercher un autre job, et lui parler des postes à pourvoir dans son hôtel. Encore une fois Eggsy est en train de lui montrer qu'il peut lui aussi avoir une vraie valeur aux de quelqu'un, ce qui est confirmé par ce que ce dernier ajoute. Les vannes sont ouvertes, le châtain n'arrive plus à contenir l'émotion. Il est perdu dans tout ses sentiments. La joie d'être considéré comme un humain par quelqu'un, la gratitude de la proposition qu'il lui fait, mais aussi la culpabilité et la peur, ces dernières prenant largement le pas sur les autres. C'est entre deux sanglots qu'il finit par réussir à articuler un semblant de réponse pour le bouclé. « C'est... C'est gentil, mais je ne peux pas accepter. » Rory déglutit et essaye de chercher les bons mots pour se justifier. « J'aimerais vraiment, je déteste être là-bas, mais... je ne peux pas. Je lui dois beaucoup, je lui dois tout. » Le barman se sent plus que redevable envers son patron malgré tout ce qu'il subit depuis deux ans, parce qu'il l'a laissé dormir dans le bâtiment tant que c'était en rénovation avant l'ouverture, parce qu'il l'a embauché, il lui a donné un travail, l'a aidé à trouver son logement actuel, certes, petit et loin d'être correct, mais au moins il a un toit au-dessus de la tête et de quoi payer son loyer. Alors il n'arrive pas à prendre cette fichue décision de tout plaquer, en tout cas jusque-là, il ne l'a pas fait par peur de retourner à la rue. Pourtant, la proposition d'Eggsy est plus que tentante, comme il le lui a dit, ça ne pourra pas être pire qu'actuellement. Son cerveau est en ébullition, essayant de peser le pour et le contre, mais il n'arrive pas à penser correctement. Rory porte la main à sa joue qui le lance, lui remémorant ce qu'il a pris un peu plus tôt et les questions du bouclé avec. Le châtain se sèche les restes de larmes qui avaient finies par se tarirent, empêchant au passage d'autres de couler à cause de la douleur. « Je me suis laissé faire parce que j'ai pas de force, que le client est roi, j'ai pas le droit de protester. Et non, heureusement, ce n'est pas toujours comme ça, même si ça arrive quand même régulièrement » Il omet de dire que ça a déjà bien pire que ça, qu'il s'est même retrouvé plusieurs fois à l'hôpital. Le pire, ça été la fois où il a retrouvé Kalyani comme médecin, cette fois-là, il a bien cru mourir, il ne sait même pas comment il est arrivé à l'hôpital cette nuit-là, il ne sait pas qui l'a déposé et il n'a malheureusement jamais pu remercier cette personne de l'avoir sauvé. Seulement, il a beau vouloir le cacher en se taisant, ses larmes qui reviennent, son corps qui tremble et ses muscles qui se tendent rien qu'en y repensant, trahisse la peur qu'il essaie de camoufler.

Il n’y a qu’à observer le comportement de Rory pour se rendre compte qu’il n’est pas vraiment satisfait de la réponse d’Eggsy qui aimerait vraiment être capable de s’ouvrir complétement au jeune homme mais qui en est tout simplement incapable. Le secret qu’il porte, il l’a trop longtemps gardé pour lui pour se confier sur un coup de tête. De toute façon, même s’il a confiance en Rory pour une raison qui lui échappe totalement, il n’a pas envie de lui lâcher une telle bombe et quelque part de l’obliger à partager le poids d’un tel secret. Rory a bien assez de problème comme ça à gérer, il est hors de question que le passé d’Eggsy l’accable encore un peu plus, le bouclé est bien assez grand pour gérer ses problèmes, il doit juste trouver une explication assez honnête pour que le châtain puisse y croire et mettre toute cette histoire de côté. Et pourquoi doit-il poser toutes ces questions ? Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Il est là maintenant, à ses côtés pour l’aider à s’en sortir pourquoi est-ce qu’il a l’impression que Rory va décortiquer toute la situation jusqu’à trouver la véritable explication ? Eggsy aimerait rester concentré sur le problème principal qui est le métier de Rory mais il sent que ce dernier a besoin d’une explication. Il laisse échapper un soupir, cherchant une bonne phrase à répondre alors il opte pour la sincérité tout en omettant quelques petites précisions qui seraient accessoirement nécessaires. « -Je ne mens pas quand je te dis que je suis pas fait pour le romantisme, je suis pas conventionnel dans mes relations avec les autres, j’ai plus ou moins toujours été comme ça. » Cette explication est tellement mauvaise que même Eggsy s’en rend compte mais ce dernier croise les doigts pour que ça passe auprès de Rory et que ça apaise un peu les questions que le jeune homme peut se poser à leur sujet.

Quand Rory se met à sangloter sous le regard surpris d’Eggsy, le bouclé cherche désespérément ce qu’il a pu dire pour mettre le jeune homme dans un tel état, lui qui pensait plutôt le réconforter, il a l’impression d’avoir encore mis les pieds dans le plat. Mais la culpabilité laisse rapidement place à de la colère lorsque le châtain refuse son offre sous prétexte qu’il doit quelque chose à quelqu’un. Même si Eggsy n’en est pas certain, il se doute que Rory est en train de parler de son patron et quelque part, ça le dégoute qu’il puisse penser comme ça. C’est encore pire quand il lui explique les raisons pour lesquelles il n’a pas réagi quand le client a été violent envers lui. La nausée monte doucement chez Eggsy qui ne comprend pas comment Rory peut avoir une si basse estime de lui-même, de sa vie et de ce qu’il pourrait en faire. « -J’en ai rien à foutre que tu doives quelque chose à quelqu’un, c’est ta putain de vie Rory !! » s’énerve un peu Eggsy, pas contre le jeune homme mais contre ces gens qui pensent posséder un quelconque droit sur sa vie parce qu’ils ont fait quelque chose pour lui un jour. « -A quoi tu joues ? Tu dois te battre Rory, c’est comme ça la vie. Si tu veux t’en sortir, tu dois te battre tous les jours. » L’intention d’Eggsy n’est pas de lui faire la morale, loin de là, il n’est pas vraiment un exemple à suivre mais au moins, il sait qu’il se bat pour ce qu’il veut et rien que pour ça, il ne laisserait jamais quelqu’un le juger. « -Je peux t’aider à t’en sortir mais tu dois m’aider Rory. Oublie les gens de ton passé, sois égoïste une fois dans ta vie et ne pense qu’à toi, qu’à ton bien et jamais à personne d’autre. » C’est de cette manière qu’Eggsy a réussi à garder la tête hors de l’eau durant les périodes les plus difficiles de sa vie, mettre sa propre vie en priorité, ne pas se soucier de ce que les gens pourraient penser s’il faisait ça ou autre chose, ça l’a sauvé de tourner complétement fou.

Eggsy vient poser ses mains sur les épaules de Rory en le regardant droit dans les yeux, essayant d’y mettre toute la tendresse dont il est capable puis l’attire contre lui, essayant d’adopter une position agréable pour eux deux. D’un geste presque imperceptible, il balance légèrement le châtain dans ses bras pour tenter de le réconforter. Il se sent ridicule car il n’a jamais fait ça auparavant, lui qui a toujours pensé à lui en premier, il n’a jamais vraiment eu ce genre de gestes auparavant. Il aimerait pouvoir lui dire que tout va aller pour le mieux, que ça sera simple mais il ne peut pas car ça serait mentir. Si Rory décide de se sortir de ce merdier, ça sera un long, très long chemin qui l’attend mais Eggsy est prêt à l’accompagner pour l’épauler. « -Tu peux le faire Rory. Toi et moi, on peut te tirer de cette situation et te remettre sur les rails. »  Eggsy se rend compte à quel point il aime dire « on » en parlant du jeune homme et de lui-même, mais il tente de chasser cette idée de sa tête, il est hors de question qu’il tente quoi que ce soit sinon Rory risque de croire qu’il est également là pour profiter de lui, qu’il n’est finalement pas différent des autres. Mais est-ce que ce n’est pas un peu le cas ? Si Rory n’était pas Rory, le bouclé n’est pas certain qu’il aurait même levé le regard sur lui… Quelque part il le veut, rien pour lui, sans avoir à payer pour ça, alors est-ce qu’il n’est pas comme les autres ? Il s’éloigne de Rory, remettant une bonne distance entre eux pour l’aider à reprendre ses esprits car le parfum du châtain est bien trop enivrant à cet instant. « -De toute façon, il est hors de question que tu quittes cette voiture avant que tu aies dis oui ! Et ce soir, tu dors à l’hôtel. » Sur le point d’ajouter avec moi, Eggsy se passe la main dans les cheveux pour garder contenance. « -Il est hors de question que je te ramène au bar. » Eggsy est ferme, il ne lâchera de toute façon pas l’affaire, quitte à kidnapper le jeune homme et à le séquestrer jusqu’à ce qu’il entende raison, le bouclé n’a absolument pas peur de prendre en main les choses.