Chapitre 1 - Dúirt bean liom go ndúirt bean léi.
«
Mhamó disait toujours... » A cette bonne vieille mhamó. Kieran vous dira qu'il lui en a fait subir à cette pauvre grand-mère à la hanche raide et au sourire plus beau que mille soleils. Et de sa tendre jeunesse, c'est à peu près tout ce que vous n'entendrez jamais dans la bouche de Kieran. Peu avare en racontars sur sa vie après l'adolescence, le jeune homme reste bien plus discret sur son enfance, prétextant que c'est trop loin pour s'en souvenir, particulièrement pour ce qui concerne ses premières années de vie, quand il vivait encore dans son pays d'origine.
«
Je préfère me concentrer sur le présent. Le passé a quelque-chose de trop triste. »
Oui, triste. C'est peut-être là la clé de ce mutisme important sur son passé, son besoin de le taire, de ne le partager avec personne, hormis peut-être sa chère Eireen, comme si le garder pour soit pouvait éviter à la tristesse d'envahir un quotidien New Yorkais auréolé de joie de vivre, de fausse insouciance et de vie au jour le jour.
Si ce n'était son nom, son inimitable accent qu'il n'a jamais réussi à perdre malgré les années de vie en tant qu'américain et sa sacro-sainte St Patrick qu'il ne raterait chaque année pour rien au monde, on pourrait presque oublier que ce cher O'Brady porte un nom de famille anglicisé par son père lors de leur installation aux Etats-Unis et que sa carte d'identité porte la double nationalité depuis sa majorité...
Ne jamais oublier que les apparences peuvent être des plus trompeuses. Ne jamais oublier que derrière les sourires ne se cachent pas forcément que des histoires sans ombre. Que les plus joviales ne sont pas forcément ceux qui n'ont toujours connus que gaieté et amour tendre. Que les plus assoiffés d'espoir constant ne sont pas toujours ceux a qui la vie a le plus sourit.
Pour ce qui est du passé, des joies et des peines, Kieran vous dira tout de même qu'il a été bien lotis. Que malgré sa mémoire défaillante, il est à peu près sûr de n'avoir rien vécu de traumatique, ni d'horriblement horrible... ou alors il s'en serait souvenu... Ou en tout cas, il aurait été moins bien équilibré qu'aujourd'hui. Et il est plutôt équilibré, non ? Sa chère mhamó avait été une bonne femme pour lui, une grand-mère un peu trop permissive, sans doute, comme le sont toutes les grands-mères après tout. Et ses parents acceptaient pleinement cela, aillant vécu eux-mêmes avec la même éducation.
Chapitre 2 - Je suis sur des montagnes russes qui ne font que monter, mon ami.
A l'été 1994, Kieran dû dire adieu à mhamó et à l'Irlande, pays qu'il avait toujours connu. Ce ne fut pas de guetter de cœur, mais quand on a treize ans et que votre père obtient le plus gros contrat de sa vie, vous n'avez clairement pas les arguments nécessaires pour éviter le déracinement. Mais le jeune homme s'adapta plutôt bien à sa nouvelle vie dans la grande ville californienne qui accueillait désormais la famille Ó Bradaigh, rebaptisée O'Brady pour convenir à cette nouvelle vie. Le charme irlandais, sans doute, qui faisait glousser toutes les filles du lycée, aida grandement. Kieran a l'habitude de dire qu'une fois arrivé à Los Angeles, il avait commencé à vraiment exister. Lui le cadet de la famille, lui qui était tout pour sa chère mhamó, mais qui était bien trop jeune, bien trop différent de ce terre-à-terre de père, pour trouver sa place dans la dynamique créée par Séamus et Déalgan Ó Bradaigh.
Déalgan avait toujours été bien plus proche de leur paternel que lui. Déalgan, lui, savait se montrer attentif et fin en société. Déalgan, lui, savait comment plaire aux gens en les amadouant par la parole. Déalgan, à seulement 6 ans déjà, savait avoir avec son père les conversations que même en tant que jeune adulte, Kieran ne savait pas avoir. Parce que Kieran n'était pas comme son père ou son frère. Lui n'était pas un modèle de maturité, de réflexion et de travail acharné. Lui vivait dans les histoires, dans les sentiments, dans le plaisir. Lui s'émerveillait des sourires merveilleux de mhamó, quand Déalgan n'y voyait qu'un rictus ridé d'une vieille femme en réponse à un message reçu par un interlocuteur ou un autre. Lui s'enivrait des musiques dont il ne comprenait pas les paroles, se fondant dans les mélodies, ressentant les émotions dans les voix, quand Déalgan ne jurait que par les chansons à texte profond, à plusieurs niveaux de lecture. Kieran, lui, aimait regarder les gens, les visages, les photos et deviner les histoires derrières chacun, Déalgan lui était en perpétuelle recherche de l'élément important chez chacun, ignorant souvent que les objets, les rictus et les sons pouvaient apporter bien plus d'informations que de longues recherches intensives sur des faits. Kieran avait toujours été un rêveur, «
un artiste ! », disait Síle Ó Bradaigh en riant avec sa belle-mère. Il tenait bien plus de sa mère que de son père, pour cela et c'est pourquoi Déalgan était tout l'inverse de lui et pourquoi il se sentait si indésirable dans la relation entre les deux hommes de la famille.
Pourtant, si cela l'avait toujours perturbé en Irlande et si cela avait pu lui laisser un goût amer, il avait très bien su s'en accommoder une fois dans la ville des anges. Cette ville regorgeant de gens comme lui. Cette ville où « fils de » n'avait pas d'importance. Celle ville où il pouvait être Kieran O'Brady et juste Kieran O'Brady, indépendamment du Seamus O'Brady qui avait tous les jours des milliers de dollars entre les mains.
A la rentrée 1996, parce que cela plaisait aux filles, il tenta de suivre les traces de Déalgan, malgré tout, passant les sélections pour entrer dans le club de Basketball du lycée, mais avouons-le, le jeune homme ne se révéla jamais un talent pour mettre un ballon dans un panier. Ni à cette époque, ni après, malgré ses nombreux efforts pour y parvenir au moins une fois. «
De toute manière, le basket, le foot... C'est très surfait tout ça. Et t'as pas la tête d'un abruti destiné à devenir le ''monsieur-j'suis-populaire-à-16-ans-mais-dans-vingt-ans-après-une-copulation-hasardeuse-au-bal-de-promo-se-soldant-par-la-venue-d'un-enfant-non-désiré-je-serais-un-gros-beauf-pleurant-dans-le-fond-de-ma-bière-sur-mes-années-de-gloire-passées''. »
Elle, elle s'appelait Mills... Enfin, Melissa, mais elle détestait son prénom, comme à peu près tout au lycée et chez elle. Elle n'en avait pas l'air comme ça, avec son bonnet noir qu'elle portait en toute occasion pour cacher ses longs cheveux blonds teints en roux qu'elle ne prenait jamais le temps de peigner le matin, ses jeans savamment troués et déchirés par ses soins et ses ongles peints d'une couleur si foncé qu'on aurait dit qu'ils étaient presque noirs, mais elle était magnifique. Son petit nez fin, ses grands yeux bleus en amandes, son éternelle sourire sarcastique la rendait physiquement magnifique, mais elle était surtout très belle intérieurement. Drôle et spirituelle et complètement folle. Elle ne laissait rien, ni personne, lui dicter ce qu'elle devait faire et elle adorait faire tout ce qui lui passait par la tête, sans prendre le temps de réfléchir avant. Elle avait beau le nier, elle avait le cœur sur la main. Kieran avait cessé de compter le nombre de fois où il l'avait vu s'asseoir avec un SDF juste pour découvrir qui était l'homme derrière les vêtements sales et les dents bousillés, ou le nombre de fois où il avait pu la voir sourire à un enfant ou à une grand-mère, juste parce que les gens chargés d'histoire et d'imagination la fascinait. En fait, il avait même fini par arrêter de compter le nombre de fois où il s'était laissé emporté par la contemplation de cette fille qu'il adorait voir s'énerver pour tout et n'importe quoi et cacher au monde entier son grand cœur parce que c'était contraire à l'image de mauvaise fille qu'elle aimait à cultiver. Mais plus que tout, il avait cessé de compter le nombre de choses qu'elle lui avait fait découvrir et qu'il avait adoré.
«
Tu joues vraiment comme un pied, O'Brady », grommela Mills depuis le lit de Kieran, un an et demi après leur rencontre. L'été reprenait doucement ses droits sur la cité des anges et elle avait ressortit ses short en jean élimés depuis quelques jours déjà, mais Kieran ne se lassait définitivement pas de poser les yeux sur la peau blanche de ses jambes. Cette peau qui resterait laiteuse tout l'été, malgré son exposition permanente au soleil et qui contrasterait invariablement avec le haut de son corps qui lui prendrait toutes les couleurs de la saison, comme cela avait toujours été le cas. «
Tu sais que je joue mieux que toi et tu es simplement jalouse, Mills », souffla-t-il en réponse, continuant de gratter les cordes de sa guitare sans se montrer le moins du monde perturbé. C'était elle qui l'avait initié à la musique de cette manière. C'était elle qui lui avait appris à jouer. Et en même temps qu'il avait appris à jouer, il avait découvert qu'il avait une voix plutôt agréable. Une voix qui se mariait assez bien avec celle de Mills. Trouver un bassiste et aller chanter dans les bars pour se faire un peu d'argent s'était vite révélé une évidence, mais cela n'empêchait pas Mills de critiquer sa voix et ses accords en toute occasion. Elle aimait trop le taquiner pour lui reconnaître qu'il avait du talent. «
Tu sais que je suis meilleure que toi avec un appareil et tu as décidé de prendre des cours de guitare en douce pour te venger », contra-t-elle en se levant, venant lentement jusqu'à lui, écartant la guitare de ses mains pour venir se placer à califourchon sur ses genoux. Ils étaient en train de s'embrasser langoureusement lorsqu'un flash lui fit réaliser que dans la manœuvre, elle s'était saisie de son appareil photo Polaroid pour les prendre en flagrant délit. Il sourit, son nez contre celui de la rouquine, amusé. D'une main, il tira le papier encore vierge de leur image et hocha la tête. «
Tu as raison », souffla-t-il en observant leur image s'imprimer, parfaite malgré la prise en aveugle. «
Pour la photographie... Pas pour les cours. »
Avec elle, il s'était découvert une passion pour la musique, une passion pour la photographie, une passion pour les histoires ordinaires et pourtant pas moins passionnantes des gens anonymes... Une passion pour elle. Il excellait dans certaines plus que dans d'autres, cependant, mais ça ne l'empêchait pas d'aimer le tout. Ça ne l'empêchait pas de suivre un parcours scolaire acceptable, tout en chantant le soir dans les bars, après avoir travaillé avec elle sur le numéro suivant du journal du lycée. Avec elle, il avait appris à accepter qu'il ne serait jamais un membre parfait de la famille parfaite, mais que cela ne l'empêchait pas d'aimer les siens. Avec elle, il avait appris à taire les remontrances de son père et à refuser de ne penser qu'à l'avenir comme lui, se contentant de vivre dans le moment présent et d'aimer chaque moment pour ce qu'ils étaient.
«
Papa m'a dit que tu avais été accepté à l'école de photographie ». Nous étions en mai 1998 et c'était la première fois depuis des années que Déalgan venait adresser de lui-même la parole à son cadet. «
Ouais. Il t'as aussi dit qu'il m'avait mis dehors et décidé de me couper les vivres vu que je voulais vivre une vie d'incertitudes avec un métier sans avenir ? » Comment ne pas rester bouche bée face à cela. Seamus O'Brady avait toujours été ce genre d'homme qui regardait les artistes comme de la mauvaise herbe, des profiteurs, mais jamais l'aîné n'aurait pensé que son père aurait été jusqu'à renier son fils cadet pour une telle chose. Il avait beau avoir bien des points communs avec son père et avoir été un très mauvais grand-frère pour son cadet, mais il y avait tous de même des limites à ce que Déalgan pouvait accepter de faire au nom de la réussite professionnelle et des gens qu'il était réellement prêt à sacrifier. A vingt-trois ans, enfin, Déalgan avait mûri, grandit et révisé l'ordre de ses priorités dans la vie. Sans doute que sa femme, Nora, n'y était pas étrangère. «
Kieran, je suis désolé je... » «
Oh, mais ne le soit pas. Tout va bien. Je savais que ça arriverait, qu'il me jetterait hors de cette maison. J'ai fait le point sur notre père depuis très longtemps, bro'. Je sais exactement qui il est et ce que je ne serais jamais à ses yeux. J'ai tout ce qu'il me faut pour terminer l'année et ensuite, j'irais au dortoir de la fac. Je vais m'en sortir Déalgan. Je vais m'en sortir à merveilles. Tu peux me faire confiance. » L'aîné observa son petit frère pendant un moment et hocha légèrement la tête. «
D'accord, mais si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là, okay. Je ne suis pas papa et je veux que tu saches que tu pourras toujours compter sur moi. » «
Occupes toi d'abord de ta femme et de ton enfant à venir, Déalgan. Moi ça va parfaitement bien. »
Il n'avait cessé de répéter ses mots jours après jours, mois après mois, à ceux qui s'inquiétaient pour lui. Sa mère, désespéré de voir son mari avoir mis son fils dehors. Son frère, qui voulait tant se rattraper, maintenant que la paternité lui avait montré ses erreurs. Les parents de Mills, qui aimaient leur fille si fort, malgré le rejet permanent dont ils étaient l'objet et qui s'inquiétaient de savoir que les parents du petit ami de leur fille avait été capable de mettre leur propre enfant à la porte, pour une divergence d'opinion sur un corps de métier. C'était vrai, pourtant. Il allait bien. Il allait parfaitement bien. Mieux que jamais depuis des années. Il savait exactement où il voulait aller, il avait accepté depuis longtemps que son père ne l'accepterait pas et couperait les ponts et s'y était préparé. Il avait une merveilleuse petite amie pour le soutenir, une relation normale avec sa mère et des relations s'améliorant de jour en jours avec son frère. Alors oui, Kieran O'Brady était plus heureux que jamais et le début de sa majorité annonçait une vie fantastique.
Chapitre 3 - Moi je n'étais rien et voilà qu'aujourd'hui, je suis le gardien du sommeil de ses nuits...
«
Qu'est-ce que tu vas faire ? » Elle était toujours rousse, mais le style destroy avait laissé place à un style plus fleurit et plus artistique aussi. Elle portait encore sur elle les traces de sa dernière passion. Des tâches de peinture maculaient sa salopette en jean et son T-shirt blanc n'avait plus rien de blanc. Lui, regardait la petite fille de huit ans qui dessinait à la table de leur cuisine, conscient des questions sous-jacentes. «
Je ne peux pas l'abandonner. Pas quand je suis tout ce qu'il lui reste. » «
Et tes parents ? » «
Mes parents sont trop vieux pour pouvoir s'occuper d'une petite fille et quand bien même... Elle ne mérite pas de se retrouver entre les griffes de mon père. » «
Tu sais que je ne veux pas de cette vie-là, n'est pas ? », elle avait demandé avec un soupir, consciente elle aussi de toutes les répercutions des mots qu'ils étaient en train de s'échanger. «
Je sais... »
Et ça c'était terminé comme ça. Dans un souffle, sur un « je ne peux pas... » et un « je sais... », sans cris et sans pleurs, alors qu'ils observaient une petite fille de huit ans en train de dessiner sur la table de leur cuisine. Ils s'étaient aimés à la folie. Ils avaient été le premier amour de chacun, celui qu'ils pensaient grand amour de leur vie. Ils pensaient sérieusement finir leurs jours ensemble, l'un et l'autre, mais il y avait un sujet qui - ils l'avaient toujours su - serait cause de séparation et voilà qu'ils se retrouvaient pile devant : les enfants.
Ils avaient vingt-six ans, ils étaient amoureux, fiancée depuis près de cinq ans, bien sûr qu'ils avaient envisagé avoir le leur. Bien sûr qu'ils avaient essayé. Ils y avaient crus par trois fois, avant que des fausses couches - deux avant même qu'ils ne sachent qu'elle était enceinte - ont révélé que son utérus ne pouvait accueillir la vie plus de quelques semaines, pas assez pour concevoir un enfant en pleine santé. Alors, ils avaient abandonné et pleuré. Beaucoup pleuré. Le jour, la nuit, à la maison bien caché ou dans les parcs... au travail... Partout où la vie leur rappelait qu'eux ne pourraient jamais concevoir leur propre enfant. Et puis Mills avait cessé de pleurer. Elle l'avait fait la première, comme elle le faisait toujours, pour laisser l'esprit de révolte et la colère balayer ce qui la mettait à terre. Elle avait décidé de vivre avec sa stérilité à fond et de jeter tous ses sentiments sur les toiles ou dans les photos et s'était auto-proclamé « Lady du no man's land interne ». Elle avait décidé de ne plus jamais parler d'avoir d'enfants, de ne même pas accepté l'idée d'adoption. Elle avait alors donné le choix à Kieran. Rester ou partir. Elle aurait compris qu'il s'en aille. Elle aurait compris qu'il rêve d'une femme pouvant lui donner une descendance. Elle aurait accepté. Il était resté, parce que pas d'enfant d'elle n'était pas important, tant qu'il l'avait toujours elle, même si ça faisait mal, ce manque d'un petit être moitié d'eux deux.
Aujourd'hui, les causes de divergences étaient bien différentes de ce qu'ils auraient pu envisager, mais la finalité restait la même. Mills avait refusé l'idée même de l'adoption, quel que soit les circonstances, parce qu'elle n'aurait jamais pu supporter qu'un jour, l'enfant qu'ils auraient fait leur lui demande pourquoi il n'était pas né de son ventre et pourquoi il n'avait pas de vrai frère ou soeur. Elle ne pouvait que l'appliquer à cette situation là aussi. Et Kieran ? Kieran avait toujours dit qu'avoir ou non un enfant avec Mills n'avait pas d'importance, mais cette enfant là était déjà là et elle avait besoin de lui. Eireen O'Brady, huit ans, venait de perdre son père et sa mère dans un terrible accident et tout ce qui lui restait, c'était son cher oncle Kieran qu'elle n'avait que très peu vu dans sa vie et ses grands-parents. Comment aurait-il pu abandonner tout ce qu'il lui restait de son frère ? Comment aurait-il pu abandonner une petite fille qui n'avait rien demandé ? L'idée même de la laisser entre les mains de sa chère mère et de l'obliger donc à vivre sous le joug de son père le rendait malade et lorsque avait été ouvert le testament de Déalgan O'Brady, Kieran avait découvert que son frère avait probablement eu la même pensée, parce qu'il avait très précisément stipulé qu'il souhaitait que son petit frère s'occupe de leur fille s'il devait leur arriver quelque-chose à son épouse et lui.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire et pour y penser, C'était donc fini. Kieran avait emballé ses affaires, prit la petite avec elle, fait juré à Mills de faire attention à elle et n'avait plus jamais eu aucun contact avec elle. Si la séparation s'était faite simplement et sans heurts, il savait qu'il n'aurait pas été capable d'agir avec autant de sérénité. Ça aurait fait trop mal.
Le 27 août 2007, Kieran quitta l'amour de sa vie pour s'occuper de la petite orpheline laissé par ses défunts frère et belle-sœur. Le 15 septembre de la même année, il signait les papiers d'adoption et le 20 du même moi, il réalisait une chose qu'il n'aurait jamais crue possible : même si Mills lui manquait terriblement, il referait le même choix encore et encore, indéfiniment, parce que lorsqu'il parvint à arracher son premier vrai sourire à Eireen après l'accident, son monde entier s'emplit de mille couleurs que jamais aucune autre que cette petite fille ne parvint à peindre sur le monde.
Prendre Eireen en charge ne fut pas chose facile. Il lui fallut très rapidement retrouver un appartement décent pour elle avant de signer les papiers d'adoption. Puis rapidement, il se rendit à l'évidence que si son travail de photographe freelance lui permettait d'avoir plus d'argent par contrat que la plupart des photographes, il ne lui offrait pas la sécurité sur le long terme et qu'il avait besoin d'un job - même peut-être un peu moins bien payé - qui lui offrirait un salaire mensuel fixe.
Il lui fallut quelques semaines pour trouver un post de photographe pour un journal d'information. Le salaire n'était pas mirobolant, certes, mais il lui permettait d'offrir à Eireen tout ce dont elle avait matériellement besoin et de garder un peu d'économies pour l'avenir. Ça n'était pas parfait, ça n'avait rien de facile, mais cette vie fut rapidement la seule qu'il pouvait accepter d'avoir, parce qu'en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, Eireen devint le véritable amour de sa vie, la seule chose dont il avait besoin pour aller bien. Cette petite fille si maligne et si forte, lui donnait chaque jour le sourire dès le lever et lui donnait l'envie de toujours se battre, de toujours aspirer à plus. Pas pour son bénéfice personnel, mais pour elle. Avant même qu'il ne le réalise, tout ce qu'il faisait se révéla pour son bénéfice à elle. Ce boulot qui n'avait rien de passionnant, lui permettait d'avoir assez d'argent pour elle. Cet appartement dans ce quartier, trop calme pour lui, lui convenait parfaitement, parce qu'il lui permettait à elle d'être logé dans un quartier tranquille.
Il lui fallut attendre deux ans, néanmoins, avant de réaliser que tout n'était pas si parfait. Kieran pensait bien s'en sortir, être un bon parent adoptif pour Eireen, mais il découvrit ce jour-là - ou plutôt ce soir-là - que tout n'était pas si idyllique. Ça n'était pas un soir particulier. Ça n'était pas un soir différent des autres, mais ce soir-là, Eireen était de mauvaise humeur. Ça lui arrivait parfois, il ne s'en formalisait pas vraiment, mais quand elle explosa pour rien, pour une petite chose sans importance, il osa enfin lui demander pourquoi elle était aussi furieuse. «
Je déteste cet endroit », lui cracha-t-elle à mi-chemin entre la rage et les larmes. «
Je déteste cette ville, je déteste qu'ils soient mort. Je déteste chaque endroit qui me rappelle papa et maman. Je déteste tout dans cette ville... » Kieran vint s'asseoir à côté d'elle, sans chercher à la prendre dans ses bras où à la réconforter et hocha la tête. «
Très bien. Alors, où veux-tu aller vivre ? » Il l'avait choqué avec cette phrase, il le voyait dans ses yeux, mais c'était tout ce qu'il pouvait lui dire sur le moment, parce que lui aussi y pensait depuis un moment. Lui aussi avait du mal à regarder Los Angeles sans avoir l'impression qu'il manquait bien des choses à sa vie. Alors, peut-être que partir était la bonne solution. Si aucun d'eux n'arrivait à vivre sereinement à L.A., peut-être que la solution impulsive de quitter la ville était la bonne. «
Tu... Tu es sérieux ? »
Venant d'une fillette de dix ans, il se serait attendu à ce qu'elle saute partout en lui donnant des destinations invraisemblables, mais non. Pas Eireen. Elle, elle pensait déjà presque comme une adulte. Alors, il hocha la tête, souriant avec amusement. Peut-être que des deux, c'était lui le plus gamin irréaliste, après tout. «
Je ne te garanti pas que ça sera notre destination finale, je dois d'abord trouver un travail ailleurs pour qu'on puisse y aller, mais dis-moi une destination et je chercherais par là-bas en priorité. »
Elle avait fini par dire New York et dès le lendemain, il avait cherché. Heureusement, le journal pour lequel il travaillait était une déclinaison papier d'une grande entreprise journalistique possédant d'autres journaux et des émissions d'informations et il trouva rapidement un poste libre dans le journal de New York.
Ils emménagèrent à New York et Eireen sembla littéralement revivre, tandis que lui, moins inquiet pour elle, trouva le moyen de revivre aussi. Les locaux de journal se trouvant dans les mêmes locaux que l'émission télévisée, il se retrouva vite en contact avec les cameramans de la boite, se découvrant une nouvelle passion pour l'image mouvante, au grand damne d'Eireen. Après le décès de Déalgan, déjà, le jeune homme n'avait plus lâché son appareil photo, prenant mille et un clichés de tout et rien, de chaque moment, de chaque bribes d'Eireen, comme ma peur qu'un jour elle ne disparaisse et qu'il ne lui reste plus rien, sinon sa mémoire, pour se souvenir d'elle. Avec la caméra, cela fut encore pire. Mais la jeune fille avait beau râler - surtout que l'adolescence ne l'aidait pas à apprécier son image - elle était heureuse d'avoir pleins de photos d'eux deux et lui, pleins d'images d'elle, souriante au simple son de la voix de son oncle, de celui qu'elle se surprenait parfois, de plus en plus souvent à appeler papa. Parce que ses parents biologiques n'étaient pas adepte des images et qu'elle ne gardait que des bribes de moment dans sa mémoire, des souvenirs défaillants provenant d'une enfant de huit ans qui ne gardait pas ses souvenirs précieusement, à l'époque, inconsciente qu'elle était que sa vie pouvait être brisé à tout moment. Alors que son cher Kieran prenne tant d'images d'elle, d'eux deux, lui faisaient plaisir dans le fond. Elle pourrait toujours garder les souvenirs de leur vie à deux.
Chapitre 4 - Dans ce monde, ce n’est pas nous qui choisissons si on nous fait du mal ou non, en revanche on peut choisir qui nous fait du mal. J’aime mes choix...
La vie resta bien plus douce à New York, les années passants, même après le premier nouveau souffle de l'emménagement. Jamais Kieran ne regretta d'avoir demandé sa mutation et l'année 2011 confirma que son choix avait effectivement été le bon quand il parvint à convaincre son patron de lui laisser une chance de quitter la presse papier pour rejoindre la presse télévisée. Pas devant, bien sûr, mais derrière la caméra. C'est alors qu'il rencontra Siobhan, la jeune journaliste avec laquelle il fut affecté. Probable que leur patron voulait voir comment pouvait s'en sortir deux nouveaux ensemble... A moins qu'il n'y ait même pas pensé. Quoi qu'il en soit, Siobhan et lui s'entendirent très vite à merveille sur le plan professionnel, trouvant rapidement leurs marques pour travailler ensemble comme un vrai binôme, ce qui - Kieran l'avait bien vite remarqué - n'était pas si fréquent que cela.
Très rapidement, leur relation professionnelle s'étendit un peu sur le privé. Pas énormément, mais juste assez pour qu'ils se sentent tous les deux assez à l'aise pour aller boire un café après une journée chargée ou un verre après une journée particulièrement difficile. Le travail dans le journalisme était énormément critiqué, principalement parce qu'ils étaient considérés par beaucoup comme des « trifouilleurs de merde », mais c'était aussi un métier fort en émotions et pas forcément de bonnes, ce que beaucoup de gens avaient tendances à oublier très facilement. Oui, les journalistes posaient des questions au mauvais moment et voulait toujours en savoir plus sur une affaire judiciaire ou les causes d'un accident, mais ils étaient aussi directement impliqué sur les « champs de batailles ». Ils étaient en première ligne pour voir les familles en larmes, les vies brisées, les ravages de l'environnement. Alors, ils avaient souvent besoin de décompresser et ils avaient rapidement trouvé plaisir à le faire ensemble.
«
Cette petite... », souffla un jour Siobhan après un reportage qu'ils avaient dû faire sur une enfant disparue. «
Je n'ose même pas imaginer l'état des parents. Combien ça doit être difficile pour eux. » Kieran hocha la tête, serrant son verre avant d'en boire une gorgée, laissant l'alcool emporter vers son estomac la boule qu'il avait dans la gorge depuis le début de leur reportage. «
Ils ont énormément de courage. Je n'arriverais pas à garder une constance comme la leur si j'étais à leur place. Déjà que je suis en panique dès que ma fille a cinq minutes de retard... » «
Tu as une fille ? », s'étonna Siobhan. Ils travaillaient ensemble depuis deux mois, avaient commencé leurs sorties d'après boulot depuis moins d'une semaine et c'était la première fois qu'il lui parlait d'Eireen... Enfin qu'il parlait directement d'elle, autrement que par des « Je dois y aller, j'ai quelqu'un à récupérer » ou des « Ah les cours de maths ! Le défi de tout parent ! ». «
Ce n'est pas vraiment ma fille, en fait... C'est ma nièce... Mais ses parents sont décédés et depuis et bien... Je l'ai adopté. » C'était si facile, parfois, d'oublier qu'il n'était pas le père biologique d'Eireen. Les années étaient passées très vite et l'adolescente lui en faisait voir comme tout enfant le ferait avec son parent et Kieran aimait sa nièce si fort qu'il avait parfois l'impression d'avoir vraiment le rôle du père. Non, il savait qu'il avait ce rôle-là. Il l'avait endossé exactement comme son frère l'avait voulu et même s'il n'oubliait jamais les parents biologiques d'Eireen et qu'il lui parlait d'eux à chaque fois qu'elle le lui demandait, il était son parent, son père et elle était sa fille, presque plus qu'elle n'était sa nièce.
«
Kieran ! », l'interpella la jeune fille de quinze ans – "et demi" aimait-elle préciser comme si cela lui donnait plus de maturité et de droit -, alors qu'il buvait un énième café en compagnie de Siobhan. «
Ah, la plus belle ! », souffla l'irlandais en réponse, en se levant pour accueillir la nouvelle venue. Naturellement, il posa une main à l'arrière de la tête d'Eireen et vint poser un baiser sur son front. «
Siobhan, je te présente Eireen, ma nièce. » Ils n'y en avait pas un pour rattraper l'autre, dans le fond. Kieran appelait la jeune fille « ma fille », chaque fois qu'il parlait d'elle à quelqu'un, mais la présentait toujours comme sa nièce, dès qu'elle était en mesure de l'entendre et Eireen, elle faisait exactement la même chose, laissant seulement parfois échapper un petit « Papaaaaa » quand elle se plaignait de quelque-chose ou cherchait à l'amadouer... Maligne petite princesse.
Les présentations avaient été brève et l'irlandais repartait déjà en compagnie de son adolescente préféré, quand celle-ci regarda par-dessus son épaule pour s'assurer que la blonde ne les entende pas. «
Bah merde, P'pa ! », s'exclama-t-elle en faisant de grands yeux. «
Ton langage, jeune fille ! », la gronda-t-il, plus pour la forme que pour autre chose. «
Non, mais en fait, t'es pas gay, Kieran ! C'est un soulagement, t'imagines même pas ! » Il leva un sourcil, surpris d'un tel discours et la jeune fille se sentit obligé de préciser. «
Bah depuis le temps que je vis avec toi, je t'ai jamais vu avec une fille... En fait, en dehors de grand-mère, j'ai jamais vu aucune femme dans ton entourage. J'ai fini par me demander si on ne chassait pas sur le même terrain ! Mais non ! Vu comme tu la regardes, t'es clairement hétéro et elle te laisse pas indifférent ! C'est trop mignon. » «
D'une, ce n'est que ma partenaire au travail. Et de deux, d'où tu chasses, toi ? » Cette question permit heureusement de détourner la conversation du sujet Siobhan, quand Eireen fit le choix de ne pas répondre et de changer complètement de sujet pour ne pas avoir à s'expliquer.
Les deux jeunes femmes furent amenées à se recroiser quelquefois depuis, jusqu'à aujourd'hui, chaque fois qu'Eireen rejoignait Kieran alors qu'il buvait un verre ou un café en compagnie de Siobhan, en l'attendant pour rentrer. L'irlandais ne laissa pas sa collègue indemne de cette connaissance, cependant, parlant souvent malgré lui de celle qui était le centre de sa vie, que ça soit pour se plaindre gentiment du fait qu'avoir une adolescente à la maison n'avait rien de facile et qu'elle ne pouvait pas comprendre ou pour simplement expliquer pourquoi il partirait vite après le travail. Eireen était le centre de sa vie et personne - et surtout pas Siobhan - ne pouvait en douter. Pas quand l'homme prenait la parfaite attitude du papa un peu trop gâteau.
Pourtant, malgré ses quelques confidences sur son rôle de père, Siobhan et lui continuèrent à n'avoir une relation que purement professionnel, n'allant pas beaucoup plus loin dans les confidences. Ils étaient des collègues, parlaient boulot, se taquinaient un peu de temps en temps pour détendre l'atmosphère, buvait un verre ou deux ensemble pour oublier la journée et parler de choses sans conséquences, mais ça n'allait jamais plus loin. Enfin, jamais jusqu'à il y a dix semaines...
La journée avait été particulièrement difficile. Le besoin de décompresser particulièrement fort et les verres se sont enchaînés, plus vite et plus nombreux que d'ordinaire. Et avec les verres, les corps se sont rapprochés et avec les regards, les gestes ont dérapé. Un toucher de plume pour taquiner, un baiser pour défier, une caresse pour le désir... Et la chambre leur sembla vite être l'endroit idéal pour terminer d'oublier la soirée. Ce fut une belle nuit, une douce nuit forte agréable et le lendemain, ils prirent une douche chacun leur tour et partirent au travail chacun de leur côté, pour s'y retrouver comme si rien ne s'était passé. Ils n'ont pas parlé de ce qu'il s'est passé ce jour-là et ont plutôt fait comme si rien n'avait eu lieu, parce que pour l'un comme pour l'autre, cette soirée n'était qu'une soirée pour décompressé ayant un peu dérapé, mais que le boulot restait la priorité. Elle est trop passionnée par son job pour prendre le risque de perdre son cameraman et il a trop besoin d'un salaire fixe pour risquer qu'elle ne veuille plus de lui. Il serait si facile à remplacer. Alors, l'un comme l'autre n'ont pas parlé et l'un comme l'autre pensaient sans doute pouvoir mettre cela derrière eux et oublier... Kieran est bien loin de se douter que Siobhan, elle, sait qu'ils ne pourront jamais oublier. Si loin de s'en douter qu'il n'a pas remarqué qu'elle porte des vêtements de plus en plus ample ses derniers temps et qu'elle prend toujours grand soin à s'asseoir d'une certaine façon qui cache ses formes naissantes quand elle vient boire un café avec lui... Ni même qu'elle a cessé l'alcool.