Chicago ; 20 avril 2005 - Comme à mon habitude depuis quelques mois maintenant, je rejoignis Willow dans ce lieu que nous appelions notre refuge. Dans l’arbre du jardin d’une maison abandonnée depuis quelques années, nous avions trouvé cette cabane construit par une famille autre que la nôtre et nous y avions en quelques sortes élu notre second domicile. Étrangement, même si on ne se donnait jamais rendez-vous à heure fixe, et même si on ne s’appelait pas pour s’y retrouver en même temps, le hasard faisait toujours que nous nous y retrouvions. Comme poussés indéniablement l’un vers l’autre. De mon avant bras droit, je poussai la porte en bois qui grinçait et me glissai à l’intérieur en me courbant. Cette cabane n’était pas à notre taille, mais on l’aimait quand-même.
« Qui es-tu ? » je regardai Will d’un air suspect. Qu’est-ce que c’était que cette question ?
« Bonjour à toi aussi » avais-je envie de lui répondre. Je lui souris de ce sourire en coin que j’avais l’habitude de sortir avant de lui répondre
« Derek James Connor, enchanté, et vous-même ? » elle rétorqua par une claque sur mon épaule. Qu’avais-je encore fait ? Mis à part répondre à sa question.
« Tu sais très bien ce que je veux dire, Derek ! Pourquoi es-tu comme ça ? » je fis la moue. Elle devait faire allusion à mon attitude d’aujourd’hui au lycée, quelque peu déplacée. C’est vrai que j’ai tendance à être un vrai connard en public, en plus d’être superficiel. Pourquoi ? Peut-être parce que si j’étais moi-même, j’aurais peur de me faire bouffer comme je peux bouffer les autres. Je m’étais presque malgré moi laissé embarquer dans ce fait de société. A vrai dire, je ne sais pas, je n’avais pas d’excuse. Sa question m’avait piquée et quelque peu pris au piège. Je me sauvai comme à mon habitude en remettant la faute sur elle.
« Ce qui te dérange en fait, c’est de m’apprécier quand-même, alors que je ne fais rien pour te séduire. » amicalement parlant, bien entendu. Elle me lança un regard noir. Je décidai de me sauver grâce à mon joker.
« J’ai quelque chose pour toi. » J’avais piqué sa curiosité et en quelques secondes, elle m’en voulait un peu moins. Je plongeai ma main dans la poche de mon jean et en sorti un petit écrin que je lui tendis.
« C’est quoi ? Un piège ? » Je levai les yeux au ciel. Will et son éternelle méfiance.
« Ouvre, et puis c’est tout. » elle s’exécuta et découvrit alors deux pendentifs, l’un avec un W et l’autre avec un D, nos deux initiales. Je lui pris l’écrin des mains et lui tendit le collier avec le D.
« Comme ça, même si tu le voulais, tu ne m’oublierais jamais. » je lui souris et lui accrochai le bijou autour du cou.
Chicago ; 3 août 2011 - Je me réveillai, haletant, tremblant et transpirant. Un coup d’œil à mon radio réveil, il n’était que quatre heures du matin. Je mis un certain temps à me remettre les idées en place. Où étais-je ? Quel jour étions-nous ? Que se passait-il ? Le genre de question que l’on se pose lorsque l’on se réveille tout étourdi. Lentement mais sûrement, mes idées se remirent en place dans ma tête. J’étais dans l’appartement de Nick, mon meilleur ami. J’étais là et non dans mon propre lit parce que aujourd’hui même, j’allais me marier. Comme le voulait la tradition, les mariés ne devaient pas se voir avant le jour du mariage. Puisque Jessica et moi habitions déjà ensemble depuis deux ans, elle était restée à l’appartement tandis que moi, j’étais venu ici. Cependant, même si j’avais réussi à remettre les choses en place, j’étais toujours aussi perdu. Pourquoi donc avais-je rêvé d’elle ? Pourquoi Willow était-elle revenue hanter mon esprit ? Avant, ces rêves étaient fréquents. Je rêvais d’elle comme je rêvais de la dernière fois que je l’avais vue, ou la manière dont je pourrais la retrouver. Je me faisais inconsciemment des tas de scénarios reprenant ce que j’avais dit et n’aurais pas dû, tout comme ce que j’aurais dû faire pour la retenir. J’étais un vrai connard, clairement, et rien ne m’excuserait jamais. Sans elle, j’avais continué ma vie, j’avais entrepris des études d’architecte avant de me spécialiser dans l’architecture paysagiste. Lors de ma deuxième année d’études, je rencontrai Jessica, passionnée de littérature qui se faisait de l’argent de poche en s’occupant de la bibliothèque de l’université. De rendez-vous en rendez-vous, nous avions fini par devenir un couple. Fille de bonne famille, elle convenait parfaitement à la mienne qui l’adorait et l’adulait. Tout ne pouvait qu’aller entre nous. Un an plus tard, nus emménagions ensemble dans un appartement petit mais cosy, tandis que je continuais mes études. L’année d’après, je la demandai en mariage, prévoyant de nous marier l’été prochain. Trois ans plus tard donc, nous y étions. Le jour J, au carrefour de ma vie. Fraichement diplômé, j’avais déjà trouvé une boite qui m’avait embauchée. J’entrais peu à peu dans la vie active, Jessica à mes côtés. Tout allait pour le mieux, alors pourquoi donc pensais-je encore à Willow. Elle avait disparue de ma vie quatre ans auparavant, je n’avais plus jamais entendu parler d’elle. Je me rassurai en me disant que c’était parce que, inconsciemment, je craignais de ce jour J. Me disant qu’il ne me restait que quelques petites heures de sommeil dont je devrais profiter, je fermai les yeux, Willow en tête.
New-York ; 15 octobre 2013 - La tête plongée dans ces papiers depuis des mois, je n’en pouvais plus. Je relevais le regard et regardai autour de moi. Le plafond, les meubles, les murs vides de cadres. Aucune âme, aucun souvenir. Cet environnement ne montrait rien de la vie de quelqu’un. Pauvre de tout, il ne possédait pas d’âme. Les murs gris et blanc renvoyaient une atmosphère froide et hostile. Pourtant, c’était chez moi maintenant, c’était chez nous. Je baissai le regard et tombai sur le visage le plus angélique du monde. Du haut de ses onze mois, ma fille me regardait, fixement, comme fascinée. Je décrochai un sourire lorsque le sien m’en servit l’un de ses plus beaux. Intérieurement, j’avais envie de m’effondrer.
FLASH-BACK
« C’est moi, je suis rentré ! » lançais-je à travers l’appartement après avoir poussé la porte d’entrée. Pas de réponse, mais une bonne odeur régnait dans la pièce, celle du dîner fraichement préparé. Je me dirigeai automatiquement vers les casseroles, goûtant à une cuillère de sauce onctueuse. Jessica était douée pour la cuisine, elle était douée pour tout. Je me félicitai intérieurement de l’avoir choisie comme épouse et désormais comme mère de mon enfant. Dix mois maintenant que le sourire d’Eleanor nous comblait de bonheur. C’est en pensant à elle que je me dis que Jess devait être entrain de la changer ou de lui donner son bain. Je me dirigeai vers la salle de bain et en poussai la porte, ne m’attendant en aucun cas à découvrir ce qui était entrain de se passer.
« Jessica, qu’est-ce que tu fais ?!! » Jessica se tenait droite au-dessus de la bassine pour le bébé. Mains tendue, elle maintenait notre fille sous la surface de l’eau. L’image du désastre m’avait sauté au visage tout comme j’avais bondi à ses côtés pour l’arrêter. Mon premier réflexe fut de sortir le visage d’Eleanor de l’eau. Les mains de ma femme, elles, restaient agrippées à notre bout’chou. J’élevai le ton
« Jessica !! Arrête ! Lâche-la ! » mais elle était comme en transe. Elle ne m’entendait pas. Je lui arrachai ma fille de force avant d’enfin porter mon attention à son état de santé. Elle me regardait, perdue, tout en régurgitant de l’eau avant de se mettre à pleurer et crier en même temps. Mon épouse, elle, pleurait aussi, étendue sur le carrelage froid. Mon instinct pris le dessus. Je la laissai là tandis que j’emmenai ma fille loin d’elle pour finir par appelai les urgences. Une fois sur place, je montai avec eux, interdisant à ma femme de nous suivre. Ce n’est que pendant ce trajet que tout me sauta au visage et me parut évident. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Tout se passait devant moi et pourtant, je l’avais crue. Les griffes sur sa peau, les bleus et les quelques taches de brûlures, elle n’étaient pas dues aux ongles trop longs d’Eleanor, ou aux coups qu’elle pouvait se faire quand elle jouait dans son parc ou encore à un petit accident de lait trop chaud ayant coulé sur elle. Non. Toutes ces blessures, c’était ma femme qui les lui infligeaient.
FIN FLASH-BACK
Après ce jour-là, j’entrepris toutes les démarches nécessaires pour porter plainte contre ma femme, contre la mère de mon enfant. Aujourd’hui, entre papiers de plainte, de témoignages et de divorces, je tendais de recommencer ma vie. Loin d’elle, loin de cette femme qui pourrait nuit à ma fille. Je n'éprouvais aujourd'hui plus que du dégoût, envers elle, mais aussi envers moi, parce que malgré tout, j'avais fermé les yeux, j'avais participé à ce désastre.