Mes amis et ma famille ont pris l’habitude de m’appeler Nate, et ce depuis que je suis gosse. On ne peut pas dire que j’ai manqué de quoi que ce soit dans la vie : enfin, c’est le constat que je fais à même pas trente ans. Né en 1987, à Paris, d’une mère britannique, et d’un père français, j’ai plutôt été heureux dans mon enfance.

Julia Maxwell, grande héritière d’une famille de la noblesse anglaise, n’est autre que ma génitrice. Très jeune, elle s’est passionnée -comme à peu près toutes les jeunes femmes - pour la beauté, les cosmétiques. Oui, ma mère est une femme magnifique, qui le sait, et qui se sert de son image pour vendre ses produits. Depuis bien longtemps, elle a pris la place de dirigeante française d’une grande marque de cosmétiques londoniens. Travaillant pour l’un de ses vieux amis, Mr Simmons, elle porte le prestige de la marque dans la ville de l’amour et de la mode : Paris.

C’est d’ailleurs là que ma chère et tendre maman a rencontré mon père : Maxime Blondel, avocat pour des affaires plus ou moins importantes dans le monde des affaires. Devenu l’avocat de ma mère, ils ont vécu, et vivent toujours une romance amoureuse des débuts. Jamais ils n’ont pensé à un mariage, l’union des noms pouvant faire du tort à ma mère.

Alors que les affaires battaient leur plein, je suis arrivé. Ayant grandi dans un immense appartement du XVIème arrondissement parisien, je ne suis pas ce genre de personne à plaindre. Toujours entouré des meilleures personnes, j’ai fréquenté des écoles toutes plus renommées les unes que les autres. Mes premières années sur cette terre n’ont été que d’apprentissage et curiosités, puisque mes professeurs voyaient en un héritier bilingue et sérieux un élève parfait.

C’était sans compter mon départ pour New York pour le travail de mon père. J’avais alors 16 ans : l’âge de devenir un homme. Et là, les choses ont un peu évolué. Ma vie était jusqu’à présent tracée : je devais faire du commerce pour prendre le relais lorsque ma mère n’en aurait plus la force. Sauf qu’à 16 ans, il est difficilement concevable de travailler dans cette optique.

Inscrit au French Lycée de New York dès mon arrivée, je me suis mis à fréquenter quelques célébrités. Mais peu importe, l’envie d’étudier n’était pas là quand j’étais entouré de jolies jeunes femmes - ou de jeunes filles en passe de devenir des femmes. Tout ce qui avait de l’importance : les soirées branchées dans l’Upper East Side, l’alcool, la drogue, les femmes… Rien n’avait plus d’importance, à vrai dire.

C’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que je n’étais pas fait pour devenir un homme d’affaires. Tout ce qui pouvait exaspérer mes parents était une bonne idée pour l’avenir. J’avais envie de me démarquer, de ne plus être le fils de, et encore moins quelqu’un vers qui on se retourne quand j’arrive. Cette période m’a énormément fait trainer dans les rues, dans les parcs… Et j’ai appris à reconnaître les oiseaux. Passion un peu étrange, quand on a tout ce qu’on veut dans la vie. Mais ce que j’aimais avec les oiseaux, c’est que je ne pouvais justement pas les posséder. Mon soudain intérêt pour la question mettait - pour une fois - tout le monde d’accord sur ma santé mentale : « un taré », vous disait-on à mon sujet.

A l’époque, j’ai également développé un concept plutôt drôle. Accompagné d’une petite bande, alias un noyau de vieux amis qui m’ont toujours suivis dans mes exploits de rébellions…. Quand j’aurais pu entrer légalement dans les endroits les plus huppés, uniquement en me présentant au vigile, je préférais escalader les murs et me changer dans les sanitaires. C’est ainsi que mes amis sont venus à m’appeler « Robin. » Robin, prononcé à l’américaine, pour Robin des Bois, l’homme qui grimpe, qui vole aux riches pour donner aux pauvres. Et pourtant, la générosité n’a jamais été mienne, mais que voulez-vous.

A l’âge de 21 ans, quand tous les petits new-yorkais se réjouissent de pouvoir consommer de l’alcool, ma mère m’a donné des responsabilités dans l’entreprise. Me voilà donc obligé de grandir, d’assister à des réunions, de choisir des photographes pour les publicités, de me déplacer dans le monde entier. Tout ça en parallèle des mes études à Harvard, dans la Business School. Trop pour moi, trop d’un coup.

Je me suis mis à ne plus aller en réunions, à fuir en grimpant les murs encore et toujours. Ma mère en devenait folle, et ce malgré les mises en garde de mon père. J’allais tout quitter si elle continuait à me mettre autant la pression. « Tu crois que j’ai eu le choix, quand on m’a donné ce rôle ? » Maxime savait bien que non, et c’est la raison pour laquelle il se devait de raisonner Julia. « Ne crois-tu pas que laisser le choix à ton fils serait une belle revanche, sweatheart ? »

Le seul réel moment de détente que j’avais -les femmes ne comptant pas, puisqu’elles faisaient le plus souvent partie du travail - c’était d’aller me promener dans les parcs, d’écouter les oiseaux chanter… Et d’essayer de les reconnaître dans les Zoos. Quand je rentrais à New York, j’allais arpenter les allées du Zoo du Bronx pour apercevoir les Aras, Cacatoès, rapaces et autres bêtes à plumes. Pour ne pas y être reconnu, ce qui aurait pu arriver des milliers de fois, je prenais de vieux vêtements de sport, lunettes de soleil, et je me faisais passer pour un gars lambda faisant du sport.

Ma cinquième année d’études étant terminée -avec succès, mais de justesse..-, je me devais de rentrer à New York. Ma mère et mon père étaient retournés à Paris pour les affaires. Je me suis alors installé seul dans Royal Plaza Suite, du Plaza Hotel, juste en face de Central Park. Seul dans cet immense appartement, avec domestiques -on ne va pas se mentir, à qui j’ai préféré interdire de mettre les pieds quand je ne les appelle pas-, la liberté était enfin à moi.

Un petit matin, dans les allées du Zoo du Bronx, toujours incognito, j’ai fait l’une des plus belles rencontres de toute ma vie : le directeur en personne. Je n’étais pas si incognito que ça, mais sans importance, j’allais gagner une place de choix. En échange de quelques fonds pour aider le Zoo, je deviendrais d’un des soigneurs de la serre aux oiseaux. En contre-partie, il me considèrerai comme un employé normal, sans traitement de faveur. J’aurai un salaire -pour le rôle -, un uniforme, des collègues ingrats, mais surtout des animaux superbes à soigner.

N’importe quelle personne aurait dit non, à ma place. Mais c’était beaucoup trop important à mes yeux. Je me devais d’accepter.

C’est ainsi qu’en plus de mon rôle d’héritier, je me dois de respecter des horaires de travail dans un Zoo. Quand une journée normale se termine pour le soigneur, je dois reprendre mon rôle d’homme d’affaires, aller aux dîners, séduire les héritières. Il n’est d’ailleurs pas rare que dans une discussion avec un publicitaire d’Hong Kong, je doive répéter parce qu’un cri a brouillé l’écoute : rien, juste un oiseau dans la rue, parce que je suis un homme qui marche. Mais ça, c’est ma couverture, parce que je suis un homme qui grimpe, et qui cherche à prendre son envol.