Il fallait que je lui dise. Qu'importe combien cela me semblait fou et difficile, il fallait que je dise à mon Eireen que j'allais avoir un enfant. J'avais peur de sa réaction. J'avais peur des conséquences, de l'image qu'elle pourrait avoir de moi à cause de cela, mais je devais lui dire. Et je devais lui dire vite. J'avais cru avoir le temps, pouvoir bien digérer la chose et savoir où j'en étais avant d'être contraint de lui en parler, mais les récents évènements avec l'ex-compagnon de Siobhan nous pressaient dans le temps, autant elle que moi. Parce qu'elle était terrifiée par cet homme sortit tout droit de son passé et que je voulais à tout prix être là pour elle, chaque fois qu'elle en aurait besoin. Je voulais qu'elle puisse venir frapper à la porte de mon appartement chaque fois qu'elle en ressentirait le besoin, sans que je n'ai à trouver une excuse ou à éloigner Eireen de la maison. Je me sentais déjà si mal d'avoir accepté qu'elle aille dormir chez une amie en pleine semaine, il y a quelques jours, alors que je lui avais dit non, juste pour que Siobhan puisse dormir à la maison et se sentir en sécurité après le retour de Noah dans sa vie... Je devais être un bon père pour ma fille... pour mes enfants et je devais assumer. Assumer ma paternité aux yeux de Siobhan et mes imprudences auprès de ma fille. Je le devais.

Après une rude journée à suivre la vie mouvementée d'un homme politique en campagne, Siobhan et moi prirent finalement congés l'un de l'autre, Sio m'assurant que ça allait aller et qu'elle ne rentrait pas chez elle ce soir de toute manière. J'eus un peu de mal à la laisser partir de son côté, mais me résignait finalement, après quelques minutes. Elle était une grande fille, elle savait ce qu'elle faisait et elle savait que j'étais là pour elle en cas de besoin. Je ne pouvais pas m'imposer, je ne pouvais que lui signifier qu'un coup de fil et j'accourais où elle le souhaitait. Je ne pouvais pas faire plus. Pas pour le moment.

J'arrivais enfin chez moi peu après dix-huit heures, après une journée marathon débuté à six heures ce matin et jetais mes clés sur la table en me dirigeant vers la cuisine pour prendre une bière. J'allais avoir besoin d'un petit remontant pour ce que j'allais faire, mais je ne voulais pas abuser en attaquant directement avec un alcool fort. « Eireen ? », appelais-je, sans avoir besoin de parler trop fort pour qu'elle m'entende. L'appartement était si grand que même porte close, j'entendais les murmures d'un film dans la chambre de ma fille, m'indiquant qu'elle s'y trouvait. « C'est ton tour ou le mien de faire la cuisine ? », lui demandais-je en regardant dans le réfrigérateur s'il y avait quelque-chose de potable à cuisiner. Zut ! Le frigo était plein. C'était donc probablement à mon tour de faire la cuisine.

Ça n'allait pas. Je le constatais dès que je la vis. Elle me lança qu'elle ne savait pas qui devait faire à manger, qu'elle n'avait pas envie de le faire de toute façon et qu'elle n'avait pas faim. Elle rangea rapidement le pot de glace qu'elle avait dans les mains et retourna dans sa chambre en claquant la porte, après avoir dit qu'elle allait se coucher. Je laissais passer quelques secondes, soupirant, avant de me diriger lentement vers la porte close.

Eireen avait son petit caractère. C'était un trait commun à bien des membres de notre famille et sa mère n'était pas en reste non plus. Je n'avais donc aucun doute quant au fait qu'à cet instant précis, son comportement signifiait qu'elle ne voulait ni me voir, ni me parler. Mais c'était aussi précisément pour cette raison que je ne pouvais pas la laisser tranquille. Elle allait se terrer sous sa couette, bouder comme une sale gosse et ruminer ce qui n'allait pas encore et encore. Je ne pouvais pas la laisser faire. Je ne voulais pas la laisser faire. J'étais bien placé, ses derniers temps, pour savoir que ressasser tout seul dans son coin n'aidait absolument pas. Après tout, je réfléchissais depuis des jours à la meilleure façon de lui faire mon aveux.

Après une nouvelle seconde de stationnement devant sa porte, j'ouvrais et entrait dans sa chambre, m'avançant doucement vers le lit pour venir m'y asseoir, juste à côté d'elle. Je tirais un peu la couette pour que son visage apparaisse à l'air libre et caressait tendrement ses cheveux d'une main. « Un penny pour tes pensées », quémandais-je en douceur, conscient qu'avec ma fille adolescente, je marchais littéralement sur des œufs. Qui avait dit qu'élever des enfants était tout un art ? Qui avait dit que j'avais vraiment envie de me relancer dans les couches pour un jour me retrouver avec un nouvel adolescent à la maison (ou pire, une adolescente) qui me balancerait qu'il n'avait pas envie de manger avant d'aller se terrer sous sa couette pour ressasser de vilaines choses. « Je me trompe où tu n'as pas été au lycée aujourd'hui ? Tu es malade ou c'est autre chose qui te tracasse, ma puce ? »