Déjà même avant de quitter son appartement ce soir, Rory sentait plutôt mal la soirée, à tel point qu'il a été tenté de se faire porter pâle auprès de son patron. Mais Rory, c'est un jeune homme droit, honnête, qui n'aime pas enfreindre les règles et qui rend volontiers service aux autres au détriment de ses propres envies ou besoins. Alors oui, il la sentait mal cette soirée, oui, il n'avait pas envie d'aller travailler ce soir, et non, il n'a pas cédé à cette tentation et c'est rendu comme tous les soirs, un peu en avance, au bar où il est employé depuis deux ans, depuis l'ouverture à vrai dire. Comme chaque soir, c'est la boule au ventre qui quitte son appartement et arrive sur son lieu de travail. Heureusement, il y retrouve Marty, son collègue masculin, qui dans sa vie et bien qu'ils ne voient pas en dehors de leurs horaires de travail, se rapproche le plus de ce que l'on peut considérer comme un meilleur ami. Avec lui à ses côtés, Rory se détend un peu et essaie de ne pas penser à ce qui l'attend pour les heures à venir. D'ailleurs il se crispe à chaque fois qu'un client habitué à demander plus que des verres pénètre dans l'établissement. Il ne veut de mal ni à Marty, ni aux filles, mais il ne peut s'empêcher d'espérer systématiquement qu'il ne serait pas celui qui est choisi. « Rory tu as un client, dépêche-toi ! » Le jeune homme soupire, il le savait en le voyant entrer que ce serait pour lui, c'est toujours pour lui, ce client il ne change jamais et c'est à cause notamment de ce genre de client que Rory vient avec la peur au ventre, le quadragénaire est loin d'être commode. « J'y vais. » Le châtain s'active donc pour ne pas faire attendre l'homme trop longtemps et le rejoint rapidement.

Dès les premiers instants, le client se montre brusque avec le barman, et l'empoigne par le bras avec force pour l'amener à sa voiture où il l'y pousse avec violence. Rory se fait mal sur le frein à main, mais ne dit rien et respire profondément afin de prendre sur lui. L'homme se gare dans Brooklyn dans une petite rue peu fréquentée et ne perd pas de temps en bavardage ou fioriture pour faire ce qu'il a faire. Le quadragénaire est brut, limite violent. « NON ! » Rory finit par céder, s'en est trop pour lui qu'il ne peut encore supporter. C'est rare, très rare qu'il refuse quelque chose à un client, ce n'est pas dans sa nature, mais parfois, quand sa limite est plus que dépassée il arrive à s'écouter. Seulement, ce client ne l'entend pas comme cela et augmente encore la brutalité de ses gestes. Les joues du jeune homme sont humides, ses yeux rougis des larmes qu'il n'arrive plus à réfréner, ça met encore plus en rogne l'homme qui se défoule un peu trop sur le pauvre garçon qui n'est pas à même de pouvoir se défendre. « Reviens ici tout de suite petite pute ! » Le barman a profité d'un moment d'inattention de son client pour lui donner un coup et s'extirper du véhicule. Mais Rory mal en point ne va pas assez vite et se fait rapidement rattraper par son agresseur. Cette fois, plus de demande à connotation sexuelle, rien que des coups et encore des coups, qui s'abattent sur le châtain comme une pluie torrentielle.  

La rage déversée, le quadragénaire laisse Rory en sang et vraiment très abîmé sur le macadam froid de la ruelle. « Par pure bonté d'âme, tiens. » Il est incapable d'ouvrir ses yeux pour le moment, mais il sent le tissu de ses vêtements tomber sur lui. Évidemment, l'homme part sans le payer, mais dans l'immédiat, Rory s'en fiche pas mal, tant pis, au moins il est toujours en vie et il n'aura pas à rentrer dans le Bronx nu comme un ver. « C'est ça, casse-toi. Connard ! » Le quadra n'est déjà plus là, mais jeter cette phrase comme ça lui permet d'évacuer ses émotions et s'empêcher de pleurer... encore. Il met un temps fou, des secondes, voire probablement des minutes qui lui paraissent bien plus longues encore, à se relever et réussi à enfiler à peu près correctement ses habits, en gémissant régulièrement de douleur, sans être capable de pouvoir dire avec exactitude où les douleurs se trouvent, tellement elles semblent venir d'à peu près son corps tout entier. Rory se traîne très lentement, au hasard des rues. Il ne sait absolument pas où il se dirige, il ne connait pas vraiment Brooklyn, lui il reste la plupart du temps cantonné à son quartier du Bronx, ne s'en éloignant que rarement. Il pisse le sang, chaque pas est une torture, il a envie de vomir et deux pas plus tard, il ne se retient plus. « Monsieur, ça va ? » Une voix lui parle, mais elle lui semble être en sourdine, ça bourdonne dans sa tête, ça tourne, il a chaud et froid en même temps. Il a juste le temps de tourner le visage vers la personne qui lui parle, avant de perdre connaissance. « Je... je suis où ? » Rory rouvre les yeux, il ne sait combien de temps plus tard, pour voir devant lui un visage qui lui rappelle vaguement quelque chose, sans être en état de pouvoir s'en rappeler correctement. Il essaie de bouger et grimace de douleur. Tout son corps, comme sa tête lui fait horriblement mal. Les images de la soirée lui reviennent nettes et très clairement en mémoire. Ses yeux s'humidifient instantanément.
   

Cette voix. Cette voix il l'a déjà entendu. Mais sa tête lui fait mal, ça résonne, ça tourbillonne. Rory n'arrive pas à mettre ses pensées en ordre et retrouver ses souvenirs. Il cligne des yeux, essayant de mieux apercevoir le visage de la personne qui s'adresse à lui et qui tente de le rassurer, mais là aussi, c'est encore difficile, la lumière vive de la pièce l'aveugle et lui fait accentuer son mal de crâne. Le jeune referme les yeux quelques instants, essayant de se calmer, écoutant la voix qui est en train de lui expliquer qu'il est à l'hôpital et qu'ils vont prendre soin de lui. Après un instant, il retente d'ouvrir les paupières, cette fois conscient de ce qu'il fait, il y va lentement, s'habituant petit à petit à la luminosité. Le visage devant lui devient moins flou et il reconnait ce visage, associé au son de la voix, maintenant il se souvient. « Docteur Darcher ? » Rory a une relativement bonne mémoire, mais ce qui lui a fait retenir le nom de la jeune femme, c'est qu'à leur première rencontre, elle s'est montrée plus qu'adorable avec lui et puis elle semblait un peu impressionnée. En discutant avec elle, il avait appris qu'elle commençait tout juste et qu'il était son tout premier patient, alors forcément, ça marque. Les circonstances n'étaient pas tellement différentes d'aujourd'hui, hormis que cette fois-là, il avait été quand même moins amoché que ce qu'il est à présent.

Le barman essaye de se redresser dans le lit dans lequel il se trouve, mais abandonne bien vite en grimaçant de douleur. Il se tient les côtes, ça lui lance comme des poignards. Rory tourne la tête, scrutant toute la pièce et est ébloui par la blancheur de la pièce. Il n'y a pas de doute, il est bien à l'hôpital et ça le fait paniquer. « Je ne peux pas. Je dois rentrer, je dois être au travail ce soir. Et j'ai pas les moyens de payer les soins. » Vu le peux de moyen du châtain, il ne peut clairement pas s'offrir une assurance, pas plus que de se faire soigner à l'hôpital. Et puis bon, il ne peut pas faire faux bon, ni à son patron, ni à ses collègues. Ce soir, il doit être au bar coûte que coûte. Pour appuyer ses dires, il fait une nouvelle tentative, il a mal, comme il n'a jamais eu mal. Il ignore complètement dans quel état il se trouve quels sont les dégâts que son client du soir lui a infligés, mais il doit se lever. Les traits de son visage se déforment sous la douleur ressentit, portant cette fois, au lieu d'abandonner, il persister à se lever. « Je... » Rory se met debout, mais à peine les deux pieds à terre, qu'il s'écroule, trop faible. Il se retient péniblement aux draps du lit, en vain. En se relevant du sol, il regarde vers la médecin avec un air désolé sur le visage. « Il. Il m'a sacrément amoché. » Simple et triste constatation du jeune homme, qui prend chaque jour un peu plus conscience du danger auquel il s'expose en continuant comme ça. « J'ai quoi au juste ? Je pourrais retourner au travail ce soir hein ? » Le barman s'est assis sur le bord du lit et fixe intensément la brunette, espérant avoir son approbation pour quitter les lieux rapidement, qu'il puisse rentrer rapidement chez lui prendre une bonne douche et aller au travail comme il est censé le faire. « Au fait, je suis là depuis combien de temps ? Il est quelle heure ? » Il espère juste que cela ne fait pas plusieurs jours qu'il est là et qu'il n'a pas pu prévenir de son absence son patron, il a trop peur des représailles que cela pourrait engendrer.
   

Il a mal, mais il ne peut s'empêcher de gesticuler dans tous les sens quand la médecin lui annonce qu'il est trop tard pour lui pour aller travailler. « Non, non, c'est pas possible, il faut que j'y aille, je vais me faire tuer si je n'y vais pas. Laissez-moi y aller. Je dois y aller. » Rory sait bien qu'elle ne veut que son bien, tout comme la première fois. Des bribes de leur première rencontre, plus ou moins dans les mêmes circonstances lui reviennent en mémoire et la manière dont elle avait été vraiment adorable avec lui. Il ne veut pas se montrer malpoli, il lui est vraiment reconnaissant pour tout ce qu'elle fait, mais il sait aussi ce qui l'attend s'il ne se rend pas à son travail le plus vite possible et surtout s'il ne prévient pas. Rory est au bord des larmes en imaginant déjà les remontrances de son boss, mais aussi en entendant la jeune femme lui dire de ne pas s'inquiéter pour les soins, le fait que des bourses existent spécialement pour des cas comme lui. « C'est vrai ? Mais... peut-être qu’y'a d'autres personnes qui on ont plus besoin que moi. » C'est du Rory tout craché, même dans un état pitoyable, il est encore à penser aux autres avant de penser à lui.

Finalement, le barman se laisse faire par le docteur Kalyani et se rallonge, voyant bien que ça ne sert à rien, qu'elle ne le laissera pas quitter l'hôpital comme ça. Peut-être qu'il pourra s'éclipser plus tard, quand elle le laissera seul, comme il l'avait fait la première fois. Il essaie de se monter un plan pour arriver à partir quand elle le sort de ses pensées. « Euh, je... Je ne sais plus trop, c'est confus. » Il feint l'amnésie passagère, quand en réalité, il se souvient parfaitement des évènements de la veille. Tout lui est revenu clairement en tête, il grimace et des larmes qu'il ne remarque pas se mettent à rouler le long de ses joues, au souvenir de cet homme qui l'a laissé pratiquement pour mort dans cette ruelle de Brooklyn, presque nu et loin de chez lui. Rory esquive le regard de la brunette et se tourne sur le côté, dos à son médecin, ne voulant pas se trahir par le regard, quand ses larmes l'ont probablement déjà fait, mais il ne les a toujours pas remarqués. Pour qu'elle puisse l'aider et le soigner, il se doute bien qu'il ferait mieux de lui dire la vérité. Seulement dire la vérité, c'est devoir lui avouer ce qu'il fait pour vivre et Rory en a tellement honte, qu'il ne peut pas se résoudre à le dire à haute voix. Rien que de penser devoir le dire, ça lui donne la nausée. « Pardon. » Le jeune homme se relève fébrilement, main devant la bouche et se dirige en vacillant vers les toilettes où il rend la bile qui lui ai monté. Il s'essuie et revient tête baissée vers son lit. « Je.. Je suis désolé. » Non, clairement, il ne va pas être capable de le lui dire, il ne peut pas.

Il ne la connait pas, il ne connait pas son caractère, ni si elle sera du genre à ne pas lâcher l'affaire, mais il tente de détourner l'attention de la demoiselle de ce sujet vers un autre. « Vous pensez que je pourrais rentrer quand ? Parce qu'il faut quand même que je prévienne. » C'est un peu paradoxal la façon dont il essaie d'éviter d'avoir à dire ce qu'il fait comme métier et sa manière d'insister pour y retourner ou au moins prévenir de son absence. Oui, il déteste ce qu'il fait, mais il tient à cet emploi, parce que grâce à lui, il a enfin au moins un toit au-dessus de la tête. Rory ne peut pas se permettre de se faire virer, il n'a peut-être pas grand-chose pour vivre, mais il ne veut plus jamais à avoir à vivre dans la rue, à devoir voler pour se nourrir ou à mendier pour quelques pièces. Au moins, aujourd'hui, grâce à cet emploi, il est en partie indépendant, même si au fond, il reste dépendant de son patron. « Merci, sincèrement, pour tout ce que vous faites pour moi, mais vraiment, je ne peux pas rester. » Rory se met à sangloter, partager entre l'envie de rester là, être soigné, rester loin du bar et des clients un temps, et le besoin ou plutôt le devoir d'y retourner rapidement. Il ne se sent pas prêt à parler, même si elle le met vraiment en confiance, elle semble pleine de bonnes intentions, mais le barman ne peut s'empêcher de craindre son jugement s'il elle apprenait ce qu'il fait pour vivre.
   

Le jeune homme s'en veut de ne pas dire la vérité à son médecin, d'autant qu'elle se montre particulièrement compréhensive et patiente avec lui, mais c'est juste plus fort que lui, il n'arrive pas à avouer qu'il n'est pas que barman et que s'il s'est encore fait agresser, une fois de plus, c'est parce qu'en plus de son métier principal, à côté il vend son corps. Il se dégoute tellement de devoir faire ça, rien que la réaction physique qu'il a eu, ce besoin d'aller vomir aux toilettes en pensant à ce qu'il fait et au fait qu'il va bien falloir qu'il s'oblige à le dire. Mais la main de la jeune femme dans la sienne le calme et le rassure un peu. Ça lui fait du bien, mais ça ne l'empêche pas d'éclater en sanglots, au contraire, ça l'a tellement calmé qu'il n'a pu que lâcher ce qu'il retenait. L'annonce de ses blessures n'aidant pas et le fait qu'il ne peut pas retourner travailler avant plusieurs jours non plus. Rory essaie de se calmer en prenant de profondes respirations, mais il n'y arrive pas seul. Il se fait surprendre par le geste de Kalyani et se retrouve blotti contre elle, dans ses bras, tandis qu'elle le rassure. Étrangement, cela fonctionne, même si quelques soubresauts persistent encore. C'est la caresse dans son dos qui finit complètement de le calmer. « Merci. » Sur le moment c'est tout ce que le jeune homme arrive à articuler quand il s'éloigne en douleur du médecin, pour se rallonger dans le lit qui sera le sien semble-t-il pour plusieurs jours encore. Il s'est résigné à ce fait.

À la question du docteur, il hoche la tête pour répondre que oui. La première personne à qui il pense, c'est bien évidemment son patron. D'une parce qu'il ne tient vraiment pas à se faire virer pour ne pas être venu et de deux, il n'a de toute façon, personne d'autre à prévenir. « Mon patron. » Rory baisse les yeux et soupire avant d'ajouter. « S'il vous plaît, expliquez-lui juste pourquoi je ne peux pas venir, mais ne cherchez pas à lui poser des questions. » Il déglutit, mal à l'aise de lui donner un ordre, mais si elle doit apprendre ce qu'il fait, il préfère encore le faire lui-même et puis si elle pose trop de questions, ce sera forcément sur lui que les conséquences retomberont. Après tout, ce côté-là de l'activité du bar est illégal, son boss ne risque pas vraiment d'apprécier qu'un médecin vienne fouiner dans ses affaires. « Je vous promets de vous raconter ce qu'il s'est passé, mais pitié, lui dite rien d'autre que je ne peux pas venir parce que je suis ici. » Les yeux embués de Rory sont suppliants, inquiets de ce qu'elle pourrait dire à son patron et que ça soit la fin pour lui et il s'imagine déjà perdre son job, son appart, tout et devoir retourner vivre dans la rue, sa plus grande peur.

Le châtain se rallonge le plus confortablement possible malgré ses côtes cassées et ferme les yeux. Il a besoin de se reposer un peu et ne se sent pas encore prêt à tout lui dire. Il préfère qu'elle aille déjà prévenir son patron. Soudain, il prend conscience qu'il ne lui a pas donné le numéro. Rory se redresse précipitamment ce qui lui déchire un cri de douleur. Il se mord violemment la lèvre inférieure comme pour s'empêcher de ressentir plus de douleur et regarde autour de lui pour trouver de quoi noter et surtout son vieux téléphone portable, pas de dernier cri pour lui, il en a pas les moyens, où le numéro de son patron est enregistré. « Mon... mon téléphone. Il est où ? » Une fois l'appareil récupéré, il note au médecin les différents numéros, portable, fixe du bar, où elle peut le joindre. Il s'allonge à nouveau et referme les yeux, espérant pouvoir récupérer un peu et surtout se préparer à tenir sa promesse. Il entend d'ailleurs immédiatement les pas de la jeune femme quand elle revient. Il est bien tenté de faire semblant de dormir, mais finalement décide contre et ouvre les yeux quand il la sent à son niveau. « I-Il a dit quoi ? » Sa voix tremble, de l'inquiétude perce clairement dans sa voix. Il a besoin de savoir, besoin d'être rassuré quant à son job, avant de pouvoir se lancer dans le récit de ce qu'il s'est passé lors de son agression.
   

Allongé en position foetale, recroquevillé le plus qu'il le peut sur lui même, il s'est presque entièrement recouvert avec son drap. Ses sanglots ont repris de plus belle dès que la jeune femme a tourné le dos pour aller passer l'appel à son patron. Rory déteste sa vie, lui qui plus jeune s'était imaginé tout un tas de scénarios super cool pour son futur, mais n'avait jamais envisagé celui qu'il est en train de vivre. Il ressasse les derniers évènements, cette première rencontre avec le docteur Darcher, qui déjà faisait suite à une agression quelque peu similaire à celle qu'il l'a amenée là aujourd'hui. Son quotidien est plus dangereux que ce qu'il ne l'aurait imaginé. Il n'a rien pour se défendre. Rory n'est pas très grand, pas très épais, il a peu de force et de toute façon, le client est censé être roi, il est donc supposé subir sans broncher. Mais parfois, cela dépasse des limites, que lui-même n'arrive plus à supporter. Il endure déjà bien plus que la plupart des gens.

Quand la jeune femme revient, le barman l'entend immédiatement, il n'a pas réussir à s'assoupir un tant soit peu. Il est toujours dans la même position, et sèche vite ses larmes après avoir occulté son envie de vouloir faire semblant de dormir. Rory se redresse un peu, afin de lui demander ce que son patron lui a dit et la réponse laisse le barman un peu dubitatif. Cela doit d'ailleurs un peu se voir sur son visage qu'il ne la croit pas vraiment, mais elle est tellement adorable avec lui, qui joue le jeu et lui fait croire qu'il la croit. « Ça me rassure. Merci de lui avoir téléphoné. » Le jeune homme ment, il connait suffisamment bien son patron pour savoir que ce n'est absolument pas possible qu'il ait pu dire ça, et il ne peut s'empêcher intérieurement de paniquer et d'anticiper à son retour au travail. « D'accord. » Il hoche la tête et lui adresse un léger sourire en se rallongeant dans son lit, les mains du médecin toujours autour des siennes. « J'en aurais pour combien de temps ? » Il la regarde, et lui pose la question, essayant de repousser le moment où il devra lui dire ce qu'il s'est passé.

Seulement, Rory culpabilise, alors finalement, il n'attend pas la réponse de Kalyani et se défait de ses mains, afin de replacer son oreiller un peu plus haut, et de pouvoir s'adosser à la tête de lit. Il préfère être en position assise pour lui raconter son agression plutôt qu'allongé. Le châtain grimace à cause de la douleur émanant de ses côtes, mais il ne dit rien. Il a l'habitude de passer sous silence ses états d'âme et autres blessures. « Bon, je crois que j'ai fait une promesse. Il est temps de la tenir. » Rory s'humidifie les lèvres, un noeud se forme dans son estomac. Repenser à cette agression ne lui plait pas, il préfèrerait l'oublier, faire comme si elle n'avait pas eu lieu, comme toutes les autres fois. Le jeune homme prend une profonde inspiration et commence son récit, expliquant les activités qu'il a à faire en plus de barman et les détails de l'agression, entrecoupée de pause, afin de lui permettre de retenir les larmes qui menacent de couler à chaque instant. « Quand il m'a engagé, je ne savais pas encore que j'aurais à faire cela en plus. Mais une fois le contrat signé, je ne pouvais plus reculer, et puis je lui dois beaucoup alors... » tente-t-il de se justifier. Rory est rouge comme une pivoine, tellement il a honte de ce qu'il fait, de ce qu'il est et d'avoir dû le dire. D'ailleurs, maintenant que tout est dit, il se rallonge un peu, tournant le dos à son médecin, comme pour se cacher d'elle, ne pas voir de la pitié ou un quelconque jugement dans son regard.
   

La honte est le sentiment dominant chez Rory, là tout de suite, durant tout le moment où il a raconté une partie de son histoire à son médecin, mais c'est aussi un sentiment dominant chez lui, au quotidien. Il a tout simplement honte de la vie qu'il est obligé de mener, tout ça parce que ses parents n'ont pas supporté d'avoir un de leur fils homosexuel. Il n'a jamais raconté à qui que ce soit ce qu'il fait, hormis bien évidemment ses collègues, son patron et ses clients, il n'y a absolument personne dans son entourage qui est courant de ce qu'il fait réellement pour gagner sa vie. Pour tous, et en même temps, ils ne sont pas nombreux, il est simplement barman, et c'est très bien ainsi. Parler de tout ça, c'est juste pas possible pour lui, la preuve en est la réaction d'aller vomir qu'il a eu en premier lieu, avant finalement de se lancer. Il a tout déballé sans s'arrêter, et surtout sans jamais croiser le regard du docteur Darcher, pour finir par se rallonger, dos à elle. Il ne veut pas y voir de la pitié, du dégoût ou quoi que ce soit en fait. Il a juste besoin d'être seul, de pleurer, d'évacuer et surtout de dormir pour ne pas penser aux conséquences à son retour au bar après cet arrêt involontaire.

La jeune femme pose une main sur son épaule et Rory frissonne, il sent bien qu'elle cherche à le rassurer, mais rien, ni personne n'arrivera à le rassurer, il connait trop bien son patron pour savoir ce qui l'attend quand il retournera travailler, si ce dernier lui permet bien évidemment de garder sa place. Rory frémit rien qu'à l'idée qu'il puisse perdre cet emploi. Il le déteste c'est vrai, mais sans ce job, il perdra aussi son toit et reviendra à la vie qu'il menait deux ans plus tôt. Et ça, clairement, il ne veut pas, encore moins que de continuer à vendre son corps pour garder ce toit au-dessus de sa tête. Le jeune homme se mord la lèvre aux parles de Kaly, parce qu'elle se trompe, il n'est pas mieux que ces gens, lui aussi a dû s'abaisser à ça à une période de sa vie et c'est justement son employeur actuel qui lui à permis de ne plus avoir à faire ça pour manger et c'est pourquoi il lui est si reconnaissant. « C'est faux. » Rory murmure, la voix fébrile, les sanglots ne sont pas loin et menacent de refaire surface. « Moi aussi j'ai du faire tout ça. Justement, avant que je n'ais mon emploi au bar, je n’avais rien, et les périodes où je n'arrivais pas à avoir de petits jobs, je n’avais pas d'autres choix que de voler de quoi me nourrir un minimum. Alors non, je ne suis pas mieux que ces personnes, je n’ai rien d'honnête, et rien de quoi être fier. » Le châtain prend une profonde inspiration pour ne pas craquer et se recroqueville un peu plus sur lui-même, restant encore et toujours dos à son médecin.

N'ayant aucune envie de parler de son patron, Rory esquive volontairement de répondre à ce qu'elle dit sur lui, bien que la jeune femme est entièrement raison. Au fond de lui, le barman sait bien que rien de ceci n'est normal, mais il n'a pas choix, c'est tout ce qu'il sait pour le moment. Rory secoue vivement la tête quand elle lui demande s'il souhaite porter plainte, quitte à se faire mal. Il a l'impression que son cerveau vient de faire du rodéo dans sa boîte crânienne, mais qu'importe. Hors de question de porter plainte, il ne veut pas plus d'ennuis qu'il n'en a déjà à cause de son agression et de son absence. « Non. » Sa voix a pris soudainement un ton plus sec sans qu'il ne le veuille vraiment. « Je ne le ferais pas. » Le jeune homme ne peut se résoudre à trahir celui qui lui a permis de se sortir de la rue, qui l'a laissé dormir dans son bâtiment en travaux alors qu'il aurait pu le jeter de là purement et simplement, sans chercher à en savoir plus, sans chercher à l'aider. Peu importe que l'aide se soit révélée pas aussi reluisante qu'il ne l'aurait pensé au départ. Pour Rory, il doit beaucoup à cet homme, il ne peut pas faire ça. Et puis, en portant plainte, il mettrait ses collègues dans la merde aussi. Eux aussi ont besoin de cet emploi pour survivre, tout comme lui, ils ont que ça et il s'en voudrait à vie de les envoyer à la rue en les privant de leur empois. « Je suis désolé mademoiselle Darcher, mais je ne peux pas faire ça. » Cette fois, il se retourne légèrement, pour la regarder, lui faire comprendre que ce n’est pas qu'il ne veut pas, mais surtout qu'il ne peut vraiment pas le faire, qu'il y a beaucoup trop en jeu pour se permettre de tenter une action contre cet homme. « Je suis fatigué. J'aimerais rester seul et dormir un peu. » Ce n’est pas réellement vrai, enfin si, il est fatigué, et il aurait probablement besoin de se reposer, mais il n'a pas forcément envie de rester seul, c'est juste qu'en disant cela, il espère que ça empêchera son médecin d'insister, de vouloir le faire changer, ou même de poser plus de questions auxquelles il n'a absolument pas envie de répondre. Il la regarde droit dans les yeux en lui disant ça, puis reprend sa position initiale dos à elle.